30 janvier 1938: France-Belgique et l’échec de la grève des footballeurs

France-Belgique. Trompé par un faux-rebond, le gardien de l'équipe de France, René Llense, est battu. (©L'Auto - 31 janvier 1938)

A moins de six mois du début du Mondial organisée en France en juin 38, le Syndicat des Joueurs Professionnels, snobé par les instances, lance un appel à la grève le jour d’un match amical entre la France et la Belgique. En face, la réaction s’organise.

Cette rencontre amicale contre le voisin belge a valeur de match préparatoire, mais aussi de répétition générale avant le Mondial 38 devant commencer le 4 juin. Bien qu’amical, ce match est pris très au sérieux. Il doit apporter des enseignements en vue de la constitution future du groupe. Dans le même temps, une équipe B doit affronter la sélection nationale luxembourgeoise.

Le syndicat en mal de reconnaissance

Le football n’est professionnel en France que depuis 1932, mais la transformation des footballeurs en salariés n’est pas sans entraîner des tensions avec les dirigeants. C’est pour défendre les intérêts des joueurs qu’est créé le premier syndicat en 1936. Dans la foulée des grèves du Front Populaire, le syndicat revendique principalement une augmentation salariale de 20%, une meilleure couverture sociale, une révision du système de transferts et, comme préalable, d’être reconnu par la fédération, la FFFA qui reste sourde à ses demandes.

(©L’Auto – 21 janvier 1938)

Face à une situation qui paraît sclérosée, le Syndicat des Joueurs Professionnels, réuni en assemblée générale extraordinaire le 20 janvier 1938, décide de passer à la vitesse supérieure et d’appeler à une grève générale pour le 30 janvier. Secrétaire général du syndicat, Pierre Bertrand rappelle qu’après un an et demi d’existence l’action de l’organisation se heurte à « l’inertie des pouvoirs fédéraux” et que la Fédération n’a jamais apporté « la moindre réponse et la moindre amélioration du sort du joueur de football“.

Le lendemain des premières attaques contre la grève parues dans L’Auto, Pierre Bertrand se fend d’un droit de réponse. «Le Syndicat regrette d’avoir été dans l’obligation de prendre une mesure aussi grave, mais il faut convenir qu’après quinze mois de tentatives amiables à seule fin de prendre contact avec la 3FA, il devait agir.» Il conclue en affirmant que dorénavant «la 3FA ne peux plus méconnaître le Syndicat». Bien sûr, à son tour, la 3FA démentira…

Le journal L’Auto à la pointe de la réaction anti-gréviste

Le 21 janvier, la grève fait la une de L’Auto: «Une grève des joueurs de football? Il est permis d’être sceptique!». Les jours précédant le match face à la Belgique, le quotidien va se faire le porte-voix des instances bourgeoises et multiplier les articles visant à dénigrer le mouvement des joueurs. « De tels moyens de pression sont incompatibles avec la bonne tenue que les professionnels français doivent adopter vis-à-vis des pouvoirs qui les régissent.» Les mots sont du journaliste Maurice Pefferkorn, plume de L’Auto, mais aussi membre de la rédaction de journal d’extrême-droite Candide.

En bon réac nostalgique de l’époque où les footballeurs étaient bénévoles, Pefferkorn a du mal à accepter qu’il s’agit dorénavant de travailleurs. (©L’Auto – 28 janvier 1938)

La presse spécialisée fustige la forme de la grève, mais aussi le fond des revendications. Si Henri Desgrange, directeur de L’Auto, reconnait volontiers que le système de transferts a des ressors iniques, il feint de ne pas comprendre les revendications portant sur l’amélioration de la condition sociale du footballeur professionnel, partie intégrante du camp des travailleurs. « Ne semblerait-il pas plus logique, si leur métier de joueur ne les nourrit pas suffisamment, qu’ils aillent exercer celui qu’ils faisaient auparavant? Car, enfin, de quel droit exigeraient-ils que le métier de joueur les fassent vivre?»

Le caractère démocratique de la décision d’appeler à la grève sera également mis en doute par la presse sportive. «Cette décision a été prise, en effet, par le bureau du syndicat mais sans que les membres aient été consultés» assène Pefferkorn, «47 joueurs sur 800 l’ont voté! Ce qu’on appelle “l’unanimité”» se gausse Marcel Oger dans un encart. Plusieurs réactions de joueurs défavorables au mouvement (Jasseron et Powolny du Havre, Klein de Nancy, etc) sont aussi publiées. La position du syndicat s’en trouve fragilisée.

La grève générale n’aura pas lieu

Les joueurs apparaissent divisés et les internationaux ne semblent pas prêts à renoncer à leur sélection. Une situation abordée sereinement par Jules Rimet à quelques jours des matchs. Le président de la 3FA se déclarait en effet « absolument sûr qu’elle n’aura aucune répercussion et que pas un des candidats à l’équipe de France n’acceptera de se mettre en grève à l’occasion des matchs France-Belgique et France-Luxembourg.» La présence de plusieurs stars du FC Sochaux (Mattler, Courtois, Di Lorto et Cazenave), sur le départ du syndicat, est d’ailleurs confirmée pour le match du 30 janvier au Parc des Princes.

Pour Rimet, il ne s’agit que d’un “mouvement superficiel, déterminé par des éléments étrangers à la 3FA.” Jacques Mairesse et Pierre Bertrand appartiennent effectivement à la FFSA, une autre fédération. Ceci n’empêche pas quelques voix, et non des moindres, de soutenir la grève. Interrogé en qualité d’ancien capitaine de l’équipe de France, Edmond Delfour (RC Roubaix) assure qu’il suivrait le mot d’ordre de grève. « La 3FA veut nous ignorer et se refuse systématiquement à entendre nos revendications. Nous n’avons pas d’autres moyens de nous faire écouter.» Ligne identique pour le défenseur du Racing, Raoul Diagne. « J’adopterai la même attitude que mes camarades». Comme l’écrit le journal Sport en février 1938, “Diagne avait d’ailleurs été sélectionné, mais le grand Raoul ayant eu le courage de défendre la position prise par son syndicat, il fut, dans l’ombre froide des commissions, limogé et remplacé par Marchal.”

Mais il faut reconnaître que le sort de la grève était scellé, l’intégralité des joueurs sélectionnés ne l’auraient pas suivi. Les deux matchs internationaux se sont donc déroulés sans encombres. Avec deux victoires françaises à la clé: 5 buts à 3 face aux Belges, et 4 buts à 0 pour l’équipe B face au Luxembourg. Quant au syndicalisme, on peut dire qu’il a perdu par forfait.

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