Sur l’air du Front Populaire, le premier syndicat des footballeurs

Le 7 février 1937, le Red Star Olympique - RC Lens en 1/8 de finale de Coupe de France.

La mise en place du statut professionnel en 1932 redessine les rapports entre dirigeants et joueurs. Certains estiment qu’il est important de se doter d’une structure à même de défendre leurs intérêts face aux patrons. Le Syndicat des Joueurs Professionnels va voir le jour, quelques mois après les grèves du Front Populaire.

Aux toutes premières heures du professionnalisme en France, les rapports entre les dirigeants et les joueurs n’ont pas été brutalement transformés. Pour Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi, auteurs de l’ouvrage Les footballeurs professionnels des années 30 à nos jours, la raison est assez simple “les joueurs n’étaient pas encore de vrais pros et qu’en conséquence, ils ne dépendaient pas totalement de leurs employeurs“. Cette situation n’empêche pas la tendance autoritaire des dirigeants d’être enclenchée.

De la mutuelle associative au syndicat

Certains joueurs témoignent de relations semblables “à celles d’employés à employeurs“, et donc des intérêts antagoniques qui en découlent. Les joueurs professionnels vont donc rapidement entrevoir la nécessité de s’organiser pour défendre leurs intérêts. C’est dans ce contexte qu’apparaît dès 1934 l’Amicale des Joueurs Professionnels, sous la houlette de l’attaquant international Marcel Langiller et d’Adolphe Touffait. Une première expérience finalement assez molle qui se bornera à son rôle mutualiste, mais c’est un début.

Dans L’Auto du 27 octobre 1936, Jacques Mairesse présente le syndicat et ses objectifs.

C’est un peu plus tard, en octobre 1936, sensiblement au même moment qu’en Espagne, que le premier syndicat des footballeurs va être créé, à l’initiative de Jacques Mairesse, un ancien du Red Star et de l’équipe de France. “Ces derniers temps, qui furent favorables à l’émancipation des salariés, ont été aussi propices au réveil de certaines corporations les moins susceptibles d’être touchées par la solidarité” lit-on dans une tribune du même Mairesse, parue dans Le Petit Journal en février 37. Référence aux avancées sociales conquises par les grèves de mai-juin 1936, dans le contexte du Front Populaire. Et, comme pour valider l’appartenance des footballeurs pros au camp des travailleurs, le syndicat demandera au début de l’année 1938 son affiliation à la CGT.

En tant que secrétaire général, Jacques Mairesse répond aux questions du journal L’Auto, le 27 octobre 1936, “Le syndicat des Joueurs Professionnels n’a pas l’intention de faire autre chose que de grouper les joueurs de toute nationalité opérant en France dans le but de créer un organisme de défense des intérêts moraux et financiers des joueurs. Ses objectifs sont bien définis. Il ne peut adhérer à aucune organisation politique et chacun de ses membres gardera sa pleine liberté d’opinion.[…] le Syndicat des Joueurs Professionnels se défend bien d’avoir été organisé en vue de constituer une arme destinée à combattre le régime actuel. Il ne demande que l’accord complet avec les organisations dirigeantes.”

Un syndicat non-reconnu par la Fédération

Le syndicat compte rapidement une centaine de joueurs professionnels, dont plusieurs internationaux: Raoul Diagne et Edmond Delfour du Racing, Roger Courtois, Pierre Duhart et Etienne Mattler de Sochaux, Fred Aston du Red Star ou encore René Llense du FC Sète. Pour la première réunion générale du syndicat le 1er février 1937, des représentants de 32 clubs (sur les 43 alors autorisés à employer des professionnels) sont présents. En janvier 38, le syndicat atteindra 452 adhérents sur les 583 footballeurs professionnels évoluant France. Les revendications sont assez classiques: augmentation des salaires, maintien du salaire intégral en cas de blessure, ou encore un droit de regard sur les transferts.

Le journal L’Auto aborde le cas de Robert Mercier dans son édition du 10 novembre 1936 et fustige Mairesse, “ennemi acharné par principe de tout ce qui est organisme officiel” ainsi que le syndicat accusé de “recourir à des menaces injustifiées“.

Malgré cet ancrage, et les précautions prises par Mairesse qui se sent obligé de préciser dans la presse que le syndicat “n’est pas un organisme révolutionnaire“, la Fédération Française de Football Association (FFFA) ne lui reconnaît aucune légitimité, et bloque toute possibilité d’amélioration de la condition de footballeur professionnel. Pour Wahl et Lanfranchi, le syndicat se heurte “à l’hostilité conjuguée de la presse spécialisée qui considérait que les joueurs étaient là pour jouer et des dirigeants des clubs et de la FFFA qui récusaient la légitimité de la démarche“.

La 3FA refuse de considérer les joueurs professionnels comme des travailleurs ordinaires, mais devant les demandes d’audition du syndicat, elle finira par charger sa “Commission du statut professionnel” de prendre contact. Dans une “mise au point” publiée dans L’Auto, la FFFA nous dit que cette commission a entendu “à trois ou quatre reprises les représentants du syndicat“, Pierre Bertrand et Charles Cros. Ceci dit, les revendications du syndicat – assurance en cas de blessure, augmentation des salaires de 20% ou encore plus de pouvoir de décision – restent lettre morte.

Face à la fermeté des instances, échec des grèves

Les instances bourgeoises freinent des quatre fers pour reconnaître comme un interlocuteur le syndicat, brocardé pour sa véhémence. La personnalité de Jacques Mairesse inquiète les dirigeants. Fin 1936, la 3FA va porter l’estocade en refusant de lui délivrer sa licence professionnelle, afin de le mettre sur la touche de la contestation.

C’est que les dirigeants n’ont guère apprécié l’agitation syndicale et les premières menaces de grève, quelques mois plus tôt, à l’occasion de l’affaire Robert Mercier. L’attaquant du Racing réclamait un dédommagement à la Ligue de Paris après une grave blessure contracté lors d’un match contre une sélection de Montevideo. Encouragés par le syndicat, plusieurs de ses partenaires menaçaient de faire grève et de boycotter le match annuel entre les sélections de Paris et de Budapest. Un accord entre Mercier et la Ligue finira par être trouvé et la grève évitée.

A l’approche d’un France-Belgique le 30 janvier 1938, le syndicat appelle officiellement à la grève ce jour-là. Dans son communiqué de presse, il rappelle que depuis sa création “il n’a jamais pu obtenir des pouvoirs dirigeants la moindre amélioration du sort du joueur professionnel.” Les dirigeants méprisent cette tentative de grève, et la presse cherche à décrédibiliser l’action. Avec succès. L’instabilité de la période aura finalement raison du Syndicat des Joueurs Professionnels. La 2nde Guerre mondiale va clore cette première expérience. Si le syndicat n’a pas de conquête sociale à faire valoir, il a à son crédit d’avoir essayé de s’élever contre la toute puissance des dirigeants.

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