La farce de l’apolitisme de la Gate 7

À partir d’un documentaire réalisé en 2015 sur la Gate 7, puissante organisation de supporters de l’Olympiakos, on questionne l’étiquette “apolitique”. Une ligne revendiquée par nombre de tribunes qui ne le sont pas vraiment.

Une salle de spectacle, un homme qui joue à la trompette l’hymne de l’Oympiakos du Pirée. Ainsi commence le documentaire de Tasos Alevras, What Politica – an non political story (2015), qui décortique le slogan “No Politica” tel qu’il a été mis en avant par la Gate 7 de l’Olympiakos, à partir de 2013. Le refus de la politique dans les stades est souvent mis en avant par une partie du mouvement ultra’ historique. Arrivé récemment en Grèce, ce slogan “No Politica” signifie que les opinions et les divergences politiques des supporters n’ont pas leur place en tribunes. On peut être pour ou contre le gouvernement, nationaliste libéral ou anarchiste, l’impartialité politique est de mise au nom de l’union nécessaire des supporters.

Le “No Politica” avancé par les supporters n’est qu’une variante du “Keep politics out of football” d’Angleterre. Cet apolitisme de façade intervient comme un résultat de la rencontre entre le capitalisme et le football. Il ne s’agit pas d’un jeu ou un simple sport mais avant tout d’une industrie où le supporter est vu comme le consommateur d’un produit qui doit être de plus en plus rentable. Pour cela, tout trait politique doit être mis à distance. Les supporters, en tant que bons clients, doivent agir avant tout pour le bien de l’équipe. La professionnalisation et la marchandisation du football (et d’autres sports) accouche de ce “No Politica” qui devient un instrument de pacification des tribunes, meilleure pour la rentabilité économique du spectacle. Ce n’est pas pour rien que les actionnaires de chaque club y sont favorables, derrière ce sont les intérêts des propriétaires des clubs qui sont protégés.

A qui profite l’apolitisme ?

« Politiciens voyous, Parlement des bien-placés / La rage des révoltées vous brûlera » Gate 13, Panathinakos, 2011.

La société grecque, et principalement les couches les plus pauvres, ont été frappées par la crise économique dès 2009. Les politiques d’austérité des gouvernements successifs ont rencontré une vive réaction de la part des exploité.e.s. Celle-ci a évidemment gagné les stades. Sous le gouvernement de Papandreou, il n’était pas rare que les autorités interrompent les matchs à cause de slogans ou banderoles sur la situation sociale. Une des plus célèbres étant celle de la Gate 13 du Panathinaikos: « Politiciens voyous, Parlement des bien-placés / La rage des révoltées vous brûlera ». Croire que les tribunes peuvent être épargnées est une première incohérence du “No Politica”. Les supporters ne sont pas des extraterrestres qui quittent leurs habits de galériens ou leurs dettes auprès des banques en venant au stade. Le monde du foot est un miroir de la société, il est aussi traversé par les enjeux politiques et sociaux.

Nul n’ignore en Grèce les liens de longue date entre les propriétaires des clubs sportifs et les élites politiques. Ces liens remontent aux années 50, quand les politiciens prirent l’initiative de se rapprocher des clubs à des fins clientélistes. Sachant que l’histoire de nombreux clubs est éminemment politique, en lien avec des événements sociaux majeurs comme l’arrivée massive des grécophones d’Asie Mineure après la guerre gréco-turque (1919-1922)1 ou encore la persécution des militants démocrates et communistes avant et après la deuxième guerre. L’Olympiakos, par exemple, est historiquement lié aux ouvriers du port du Pirée, et compte plusieurs athlètes qui se sont engagés dans la Résistance contre les Nazis, aux côtés du Parti Communiste (KKE).

L’hypocrisie du « No Politica »

Quelques semaines après l’assassinat de Pavlos Fyssas, la Gate 7, seule tribune majeure du pays à ne pas l’avoir condamné, a sorti la banderole « Olympiakos au dessus de tous – No politica Gate 7 ».

Loin de cette histoire sociale de leur club, le “No Politica” tel qu’il est porté par les fans radicaux de l’Olympiakos est évidemment hypocrite car depuis des années, la Gate 7 assume une expression politique de type nationaliste. Des positions qui s’articulent sans soucis avec le culte du plus fort et de l’humiliation de l’adversaire, propres à la rhétorique des hooligans. La vieille amitié qui la lie aux ultras Delije de l’Etoile Rouge de Belgrade est notamment à l’origine du déploiement fréquent dans les tribunes du stade Karaïskaki au Pirée, de drapeaux nationaux et de banderoles ancrant la tribune à l’extrême-droite. Outre les slogans anti-turcs, les messages pro-serbes sont légion depuis longtemps. La fraternité avec les Delije, défendue au nom de « racines orthodoxes communes », s’est aussi manifestée par un soutien au nationalisme serbe sur la question du Kosovo. Des thématiques qui, dans les faits, ont été favorisées, parfois introduites, et dans tous les cas instrumentalisées par les fascistes d’Aube Dorée qui avaient leurs entrées dans la Gate 7, comme ailleurs dans la société durant la période de montée en puissance du parti entre 2008 et 2013.

La Gate 7 adopte d’ailleurs officiellement le “No Politica” pour éviter d’avoir à dénoncer l’assassinat du rappeur antifasciste, et supporter de l’Olympiakos, Pavlos Fyssas (Killah-P) par un membre d’Aube Dorée, en septembre 2013 dans un quartier du Pirée. Est-ce étonnant de la part d’une tribune qui sert notoirement de refuge aux fachos ? Dans le cadre de la riposte antifasciste qui a suivi, des supporters de plusieurs équipes en Grèce et en Europe, ont dénoncé cet assassinat alors que ceux de Olympiakos ont refusé de le faire. Quelques semaines plus tard, dans une période où les fachos se sont faits un peu plus petits, sans pour autant disparaître, la Gate 7 a sorti la banderole “Olympiakos au dessus de tous – No politica Gate 7”, comme pour répondre aux critiques.

Dans le bâteau de Marinakis

Mais la Gate 7 ne tarde pas à montrer son rapport à géométrie variable à cet apolitisme. Quelques mois après l’assassinat de Fyssas, lors des élections municipales de mai 2014, deux candidats se disputent la mairie du Pirée, plus grand port du pays. D’un côté, le maire sortant Michaloliakos, lié à l’armateur Melissanidis (président et propriétaire de l’AEK Athènes) et de l’autre Moralis. Ce dernier est un exemple de carriérisme: il démarre à l’Olympiakos en 1995 comme responsable des relations avec les supporteurs organisés, en 1999 il devient responsable de la billetterie du club, en 2002 il dirige la campagne « Tous membres du club », en 2005 il occupe la place de responsable de la communication du club, en 2010 il est nommé vice-président, et en 2012 président de la Super League. Sur sa liste, on retrouve l’armateur Marinakis (président et propriétaire de l’Olympiakos) et tout un ensemble des gens liés au club.

Dans cette confrontation électorale sur fond de rivalité entre les deux armateurs, l’Olympiakos est utilisé de façon flagrante. Entre temps, et de façon étrange, Aube Dorée ne présente pas de liste dans de nombreuses circonscriptions du Pirée. La question rhétorique est: qu’a bien pu voter l’électorat d’Aube Dorée dans ces circonscriptions? En tous cas, cette liste et ses figures liées à la Gate 7, ont ouvertement fait campagne auprès des supporters. La Gate 7 officielle a alors fermé les yeux sur la manipulation clientéliste du président du club et oublié le “No Politica” pour participer activement à la campagne en soutien à la liste Moralis. Certains sont rémunérés et jouent un rôle dans les nombreuses intimidations, parfois physiques, exercées contre les candidats et électeurs rivaux. Dans tous les meetings préélectoraux jusqu’à la soirée de la victoire de Moralis, dominent les couleurs de l’équipe et les drapeaux de l’Olympiakos. C’est ainsi que la distance entre “No Politica” et “Super Politica” est éliminée au nom d’un dévouement à toute épreuve, dans l’intérêt supérieur du club.

Prenant toutes ces spécificités en compte, le documentaire arrive à la conclusion qu’il s’agit d’un phénomène nouveau, distinct par exemple du berlusconisme en Italie. Un armateur achète une équipe et se présente aux élections locales s’assurant le soutien de tout un ensemble de gens liés au club, des joueurs aux supporteurs, pour gagner la partie. Un club sportif contrôle alors entièrement les institutions de la ville ! Un modèle inquiétant qui résulte de cette approche soit-disant apolitique mettant « le club au dessus de tout », étouffant les antagonismes sociaux et politiques traversant nécessairement les supporters.

Actuellement, la mairie du Pirée est toujours aux mains de l’armateur Marinakis. Les prochaines élections municipales montreront s’il continuera son règne.

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Notes:

1 Suite à la défaite de l’armée grecque lors de la guerre greco-turque en 1922, plus d’un million de grecs furent alors priés de quitter la Turquie d’Ataturk en 1923, de même qu’environ 500 000 Turcs de Macédoine durent faire le chemin inverse. Cette défaite est connue dans l’histoire de la Grèce moderne sous le nom de « La Grande Catastrophe ». Cette période aboutit à la chute de la monarchie et à l’avènement de la Deuxième République en 1924. Des clubs comme l'AEK Athènes et le PAOK Salonique, fondés par ces populations venues d'Asie Mineure, arborent l'aigle bicéphale (Dikefalos Aetos – Δικέφαλος Αετός) comme emblème, rappelant ainsi leur culture byzantine.

 

WHAT POLITICA-a non political football story- on Vimeo.

 

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