Les combats des tribunes populaires pour 2023

La passion des défenseurs d’un football populaire est constamment menacée par les lubies commerciales et les assauts sécuritaires du football moderne et de ses dirigeants. Dans la continuité de l’année 2022, les supporters seront encore sur plusieurs fronts, pour faire du laboratoire de la répression, un laboratoire de la résistance.

Depuis le retour du public dans les stades au début de la saison passée, après seize mois d’éloignement en raison du Covid, les supporters font face à un harcèlement sécuritaire intense. Entre les campagnes médiatiques qui n’ont d’autre objectif que de mettre de l’huile sur le feu et les menaces régulières de durcissement d’un arsenal répressif déjà conséquent, le supportérisme dans l’Hexagone est clairement pris pour cible.

Ces dernières années, tous les combats n’ont pas fait consensus dans le petit monde des groupes ultras, à l’image du refus du Pass Sanitaire ou encore du boycott du Mondial au Qatar. Mais celui qui est mené historiquement contre la répression échappe aux divisions. Et, sous l’égide de l’Association Nationale du Supportérisme, une forme d’unité se construit. Elle sera nécessaire pour remporter les batailles en cours, contre les sanctions collectives, les expérimentations sécuritaires et les calendriers absurdes.

Mettre fin aux sanctions collectives…
… sans prêter le flanc au durcissement des sanctions individuelles

Entraves aux déplacements, huis clos ou fermetures de tribunes, la saison passée a été rythmée par un recours débridé aux sanctions collectives. Inadaptés, injustes, arbitraires: les mots ne manquent pas pour qualifier ces arrêtés dont les préfets usent et abusent. En hausse continue depuis leur introduction en 2011 – mis à part la saison 2015/16 avec l’instauration de l’état d’urgence – les arrêtés interdisant ou restreignant les déplacements de supporters ont atteint un nouveau record lors de la  la saison 2021/22. Une réalité qui avait incité l’ANS à appeler les groupes de supporters à la mobilisation en avril dernier.

Avant le Mondial au Qatar, après 15 journées de championnat, on était déjà à 76 arrêtés délivrés. La palme revenant à la préfecture des Bouches-du-Rhône avec 8 arrêtés à elle seule. De son côté, l’ANS et ses avocats déposent régulièrement des recours contre ces arrêtés, souvent justifiés par les préfets par des raisons absurdes. L’Association y gagne des batailles en faisant invalider des arrêtés, comme un des derniers en date interdisant le déplacement des supporters nantais pour le 1/32 de Coupe de France face à Vire.

Même si les faits montrent le contraire, le ministre de l’Intérieur a déjà répété ne pas être favorable à la généralisation des sanctions collectives. Une bien belle communication qui permet de temporiser, mais qui n’est suivie d’aucun effet. Le rapport Bauer estime qu’il faudrait “rééquilibrer sanctions collectives et sanctions individuelles”. Où est le piège? Jamais bien loin. Car dans la tête d’Alain Bauer ce “rééquilibrage” passera naturellement par une augmentation significative des sanctions individuelles. Peux-t-on attendre, de la part d’un criminologue, autre chose qu’une criminalisation accrue?

Résister aux technologies sécuritaires

Commandé par la LFP et son président Vincent Labrune à celui qu’on présente comme un “expert en sécurité”, ce document de huit pages ne s’embarrasse pas avec les libertés individuelles. Le rapport Bauer part du postulat que pour punir plus efficacement ceux qu’il nomme “les voyous”, l’enjeu est l’identification en amont et “rompre l’anonymat”. Pour ce faire, Bauer avance plusieurs pistes: billetterie nominative, carte du supporter ou encore reconnaissance faciale à l’entrée du stade. Des outils qui “peuvent être combinés ou conçus indépendamment”, précise-t-il.

Le rapport a été habilement rendu au début de la trêve du Mondial. Mais les grandes lignes avaient été pour l’essentiel publicisées fin septembre. Fichage généralisé, présomption de culpabilité, répression préventive: les préconisations de Bauer avait déjà provoqué une levée de bouclier. Plusieurs tribunes hexagonales des manifestations et de multiples banderoles déployées, comme à Paris, Saint-Etienne, Nantes, Sochaux, Montpellier ou encore Grenoble: “Mesures liberticides préconisées par un criminologue, supporters présumés criminels, non au rapport Bauer!”.

S’il ne s’agit à l’heure actuelle que de préconisations, il ne faut pas prendre ce changement de braquet à la légère. L’exécutif ne manque pas d’idées explosives pour “sécuriser” les stades. Le projet de loi relatif aux JO 2024 – qui sera examiné au Sénat à partir du 24 janvier 2023 – montre que le pouvoir compte bien profiter de l’événement pour expérimenter certaines technologies sécuritaires comme les drones de surveillance équipés de caméras “augmentées” ou les scanners corporels à ondes millimétriques à l’entrée des enceintes sportives.

Changer les calendriers: le foot c’est le week-end!

C’est un mot d’ordre qui revient à chaque journée de National ou de Ligue 2 comportant un match décalé, généralement le lundi. Aberration du football moderne, ces programmations en semaine sont le résultat d’une approche pensant le match football comme un produit télévisuel avant d’être moment vécu au stade. La passion des supporters est directement attaquée par ce biais. Les affluences sont aussi impactées par ces choix commerciaux des instances et des diffuseurs.

Les ultras amiénois en déplacement à Valenciennes, le 26 décembre dernier.

Réunis derrière le mot d’ordre “Le Foot c’est le Week-end!”, plusieurs groupes de supporters de National – parmi lesquels la Tribune Rino Della Negra du Red Star ou les Drouguis d’Orléans sont très impliqués – portent le fer avec les décideurs. Le mépris répété de ces derniers a mené à l’action de sabotage de la retransmission de Red Star-Dunkerque, de la part de supporters locaux, le 7 novembre dernier au Stade Bauer. La FFF a riposté en infligeant deux matchs à huis clos au club audonien, sanction légèrement réduite en appel.

La fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023, avec sa Celebration Week marketing et son calendrier de reprise absurde avec des matchs programmés le lundi à 15h – exemple le plus caricatural – montre que les instances et les diffuseurs ne tiennent compte d’aucune des revendications des associations de supporters. Pire, ils l’étendent sans vergogne. Cette reprise des compétitions de L1 et L2 après le Mondial au Qatar a eu pour effet de faire entrer plusieurs tribunes de Nantes à Strasbourg, en passant par Lens, dans la bagarre. En Allemagne, la mobilisation des associations de supporters de 3e division a débouché sur une décision forte des instances: la fin des matchs le lundi à partir de 2023/24.

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