Le rapport Bauer prône sans surprise une réponse exclusivement sécuritaire

Le sort des supporters est une chose trop sérieuse pour être confié à un criminologue. C’est la morale de cette séquence ouverte en juin dernier quand la LFP a commandé à Alain Bauer un rapport sur les violences dans les stades. Depuis fin septembre, on en connaît les grandes lignes: identifier et punir.

Il ne fallait pas être un grand devin pour pronostiquer certaines des conclusions que le criminologue, proclamé “spécialiste des questions de sécurité”, allait soumettre à Vincent Labrune et aux patrons des clubs professionnels. Alain Bauer fait de l’identification des supporters l’enjeu majeur. Il faudrait selon lui “rompre l’anonymat des voyous“.

Au stade de l’idéologie sécuritaire

Quand bien même il soutient de façon rhétorique que “les supporters ne sont pas des ennemis“, la solution serait donc selon lui d’identifier l’ensemble des personnes accédant aux stades pour débusquer plus facilement voyous et hooligans qui ont, dans la bouche du sieur Bauer, l’air de hanter les tribunes de France et de Navarre. “Ce monsieur n’est pas un spécialiste de la question des supporters, cependant, il a bien compris une chose, le stade est un parfait laboratoire des politiques répressives“, écrit Sébastien Louis.

S’appuyant habilement sur l’injustice des sanctions collectives, il préconise naturellement, afin de les réduire – et non les supprimer, nuance – d’augmenter le niveau des sanctions individuelles. Et pour atteindre sa cible, il avance, avec ses gros sabots, plusieurs pistes: billetterie nominative, carte du supporter ou encore reconnaissance faciale à l’entrée du stade. Des outils qui “peuvent être combinés ou conçus indépendamment“, précise Alain Bauer.

Présomption de culpabilité

En réalité il n’invente rien et pioche allègrement dans l’arsenal sécuritaire expérimenté ailleurs, parfois sans aucun succès. L’exemple italien de la Tessera del tifoso, qui n’est plus obligatoire depuis 2017, illustre bien le caractère contre-productif de cet outil qui a eu pour effet principal de vider les stades. A Chypre où un dispositif similaire est en place depuis 2014 au motif de la “lutte contre les violences”, on estime à 40% la baisse d’affluence directement causée par la carte du supporter. La violence est finalement déplacée hors des stades à défaut d’être réellement réduite.

On peut encore citer le Portugal où la Cartão do Adepto a été supprimée seulement deux ans après avoir été adoptée. Quant à la reconnaissance faciale qui vise à généraliser le fichage, on garde en mémoire le test à grande échelle lors de la finale de la Champions League 2017 à Cardiff où les caméras policières avaient scanné plus de 170 000 visages, pour atteindre le résultat de 92% d’identifications erronées!

Ce bilan désastreux importe peu à la LFP dont le but était de toutes façons de disposer d’un rapport à charge contre des supporters vus comme une menace, et où la présomption de culpabilité serait la règle, après une saison 2021/22 où une dizaine d’incidents ont hystérisé le débat. Sinon, à quoi bon confier une mission “indépendante” à Bauer, figure de l’idéologie sécuritaire à la française de ce 21e siècle? La LFP aurait pu s’appuyer sur le rapport parlementaire Houlié/Buffet de mai 2020 ou encore passer directement par l’Instance Nationale du Supportérisme au sein de laquelle elle siège aux côtés de représentants des supporters.

Guerre au rapport Bauer!

Malgré le travail considérable de l’Association Nationale des Supporters (ANS), Bauer s’est même payé le luxe de la snober royalement. Avant qu’il soit officiellement publié, les supporters ont largement compris la philosophie de ce rapport qui s’inscrit dans la continuité de la rupture du dialogue à l’initiative du ministère de l’Intérieur et des instances dirigeantes. Un rapport dominé par le dogme d’une gestion exclusivement sécuritaire des tribunes et de la répression préventive, moyennant de fausses contreparties comme l’usage “encadré” des fumigènes.

De Saint-Étienne à Montpellier, en passant par Sochaux, Nantes ou Paris, les réactions ne se sont pas faites attendre de la part de groupes ultras qui refusent d’être les cobayes de “futures lois arbitraires“. De nombreuses banderoles hostiles au rapport Bauer ont été déployés dans les virages des stades de Ligue 1, Ligue 2 et même de National, à l’instar de celui des Red Kaos à Grenoble: “Mesures liberticides préconisées par un criminologue, supporters présumés criminels, non au rapport Bauer!

Édito n°49

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