Le torchon brûle du côté de Vallecas. Au bord de l’implosion, le Rayo connaît une crise majeure. Résultat de la politique menée depuis près de dix ans par le président Presa qui multiplie les insultes à l’histoire et à l’identité sociale du club et du quartier. Explications.
Tendue depuis de nombreuses années, la situation n’a jamais semblé aussi explosive. La première partie de saison exceptionnelle réalisée par l’équipe est en train de voler en éclat depuis le début de l’année 2022, rattrapée par la guerre entre la direction et les supporters. Le milieu de terrain Óscar Trejo, ex-joueur de Toulouse, revenu au Rayo en 2017, est sorti de sa réserve. “Après une si bonne année et après avoir réussi à revenir là où le club mérite d’être, c’est-à-dire en 1ère division, la situation va de pire en pire: équipe féminine, équipe espoirs, nous-mêmes, les supporters !”
Les griefs de la afición franjirroja contre Raúl Martín Presa sont nombreux et s’additionnent au fil du temps. La période du Covid n’a fait qu’amplifier l’opposition politique entre des tribunes marquées à gauche et une caricature d’homme d’affaire qui a mis ses billes dans le football. Certains supporters sont encore en attente du remboursement des abonnements de la saison 2019/20. Période où les supporters reprochaient déjà au club d’avoir mis ses salariés au chômage partiel alors même qu’il venait de déclarer 20 millions de bénéfices. C’est maintenant les droits des supporters qui sont ouvertement piétinés par la direction qui manœuvre pour chasser du stade les Bukaneros 92, ultras historiques du club. “Nous sommes à bout. Aller au stade à Vallecas est devenu un sport à risque“.
Délires expansionnistes et grosses ficèles du foot business
Comment en est-on arrivé là? Si la situation conflictuelle n’est pas une surprise, il y a des raisons qui expliquent son évolution jusqu’à atteindre le point de non-retour qu’on connaît. C’est aussi parce que le Rayo Vallecano est vraiment un club à part en Espagne. Mais, sa renommée, le Rayo ne la doit pas à ses succès sportifs qui, jusqu’ici, se limitent à un 1/4 de finale de Coupe de l’UEFA en 2000/01, deux 1/2 finales de Copa del Rey (1982 et 2022). Si le club dénote, c’est en grande partie grâce à ses supporters. A base d’identité ouvrière et d’antifascisme, ils se portent garants que le club soit à l’image de son quartier, un des plus populaires de Madrid. Mettez un président comme Raúl Martín Presa à sa tête et vous avez l’équivalent d’une allumette posée sur un baril de poudre.
L’homme d’affaire madrilène a racheté le Rayo Vallecano en 2011, à Ruiz-Mateos, pas connu pour être un ami du peuple non plus. Le rachat du club, alors criblé de dettes, intervient dans un contexte où le football espagnol se trouve dans une situation économique désastreuse, payant les effets conjugués de la transformation des clubs en SAD vingt ans plus tôt et de la crise économique de 2010. Ce “sauvetage” vaut à Presa des débuts plutôt apaisés à la direction du club. Le Rayo obtient même son meilleur classement dans l’élite avec une 8e place en Liga en 2012/13, sous la houlette du coach Paco Jémez pour sa première saison sur le banc. Mais les grosses ficèles du football moderne ne sont jamais loin. Dès 2015, les délires de Presa, de faire du Rayo une marque mondiale et lucrative, vont se heurter aux supporters du club, connus pour être attachés aux valeurs populaires.
Les tentatives de draguer les marchés états-uniens avec la création de la franchise Rayo OKC – qui a évolué en NASL entre 2015 et 2017 – ou chinois en se faisant prêter l’attaquant Zhang Chengdong, sont de véritables fiascos – les premiers “Presa Vete Ya!” datent de cette période. Le début de la saison 2015/16 est marqué par une grève des encouragements de plusieurs mois. Sur le terrain, l’équipe est en difficulté et elle est relégué à l’issue de la saison. Paco Jémez, très apprécié des supporters, sort de sa réserve. Il n’a pas trop apprécié le recrutement de Zhang Chengdong, uniquement guidé dans l’intérêt des sponsors. Il quittera le club au moment de la relégation en Segunda Division, pour rejoindre le Granada CF. Il est remplacé par José Ramón Sandoval qui ne restera que quelques mois, ouvrant une période d’instabilité sur le banc avec trois coachs en huit mois.
L’épisode Zozulya et ses ricochets
Alors que l’objectif est de remonter en Liga, le Rayo n’est pas à la hauteur. Lors du mercato hivernal, en janvier 2017, Raúl Martín Presa pense réaliser un grand coup en se faisant prêter Roman Zozulya par le Bétis. Problème, l’attaquant ukrainien est connu pour soutenir les milices néo-nazies, comme le Bataillon Azov, actives dans la guerre du Donbass. Même si Luis Yañez, directeur général du club, s’inscrit en faux et défend le joueur, le prêt de Roman Zozulya sera finalement annulé. A peine arrivé à Vallecas, le joueur n’a même pas eu le temps d’enfiler ses crampons qu’il a fait demi-tour devant l’hostilité des supporters qui refusent de voir un tel personnage porter le maillot du Rayo. L’affront reste en travers de la gorge de la direction qui n’apprécie guère la puissance mobilisatrice des supporters.
Mais l’histoire entre les supporters du Rayo et Zozulya ne s’arrête pas là. Le 15 décembre 2019, alors qu’il revient à Vallecas avec le maillot d’Albacète sur le dos, le joueur se fait copieusement insulter de “putain de nazi” par les tribunes. Ses coéquipiers, par solidarité, refusent de revenir sur le terrain et l’arbitre prend la décision d’interrompre la partie. Les instances prendront la décision de faire rejouer la mi-temps manquante à huis clos, et infligeront au passage une amende de 18 000€ au Rayo, pour « chants et insultes répétées ». Pour Presa le club est victime de ses supporters, plus exactement des Bukaneros 92, un des groupes les plus engagés politiquement en Espagne. La président va alors se lancer dans une croisade contre ces encombrants ultras d’extrême-gauche, mais aussi se mettre à dos la majorité des autres associations de supporters. Si bien qu’aujourd’hui, le front anti-Presa est quasiment unanime du côté de Vallecas.
“A Vallekas, il n’y a place pour le fascisme” affirment fièrement les supporters. Plus qu’un slogan, un mantra que la direction pyromane va insulter en invitant au stade le leader du parti d’extrême-droite Vox, Santiago Abascal, et sa candidate à la mairie de Madrid, Rocío Monasterio. Nous sommes au printemps 2021 et Presa met à profit l’accalmie apparente des tribunes en raison des restrictions sanitaires pour porter ses coups en douce. Les images d’Abascal tenant le maillot du Rayo sont douloureuses. Presa en remettra une couche et défendra “une bonne façon de montrer que le Rayo est un club ouvert à tous, et Vallecas un quartier qui accueille tout le monde“. Dans un communiqué de la Plataforma ADRV, Raúl Martín Presa se fera alors traiter d’idiot utile du fascisme.
Equipe féminine: entre austérité budgétaire et affaire Santiso
Avant la polémique du match contre Albacète, la saison 2019/20 avait déjà commencé avec une surprenante hausse du prix des abonnements (de 20% à 77% selon les secteurs du stade), alors que le club vient d’être à nouveau relégué en 2e division. La réponse des supporters ne se fait pas attendre. Ils appellent aux boycott de la campagne d’abonnement. Les Bukaneros appellent eux à une opération tribunes vides pour les premiers matchs à domicile “jusqu’à ce que soient garantis des prix d’abonnements dignes pour l’ensemble des supporters rayistas“. Le “Voyage Retour” – comme est intitulée la campagne d’abonnement – “commence avec des turbulences” titrera avec humour la Plataforma ADRV (regroupant une quinzaine de groupes et peñas). La grève perturbera les huit premiers matchs à domicile de la saison, mais Presa ne cèdera pas.
La bataille des abonnements avait aussi mis en lumière la création d’un abonnement spécifique, alors qu’auparavant un abonnement unique permettait de suivre les deux équipes. Ce n’est qu’une première attaque sournoise contre la section féminine, première cible – avec l’équipe B et la cantera qui n’ont même pas d’entraîneur des gardiens à disposition – des mesures d’austérité budgétaire de Presa qui se traduira fin 2020 par des retards conséquents dans le versement des salaires. Un nouveau cap dans cette entreprise de sabordage du Rayo Femenino est franchi un an plus tard quand la communauté rayista apprend avec stupéfaction que la direction a stoppé le paiement du loyer des footballeuses du club, les mettant dans la difficulté vis à vis des bailleurs. Pour les marchands qui gouvernent le Rayo il s’agit de dépenses inutiles, tout comme les créneaux de salle de sport ou le kiné, supprimés également.
Le clou de ce mépris est la mise à la tête de l’équipe féminine de Carlos Santiso alors qu’il vient à peine d’être contraint de démissionner de son poste d’entraîneur des U12 auprès de la Fédération Madrilène de Football (RFFM). Celui qui a déjà été coach des féminines du Rayo entre 2019 et 2021 est au cœur d’un scandale après la révélation d’une bande audio où il fait l’apologie du viol collectif comme méthode de cohésion de groupe. Dans le message en question, il cite comme modèle “ceux d’Arandina”, trois footballeurs condamnés à 38 ans de prison pour l’agression sexuelle d’une mineure. Plusieurs messages demandant son départ immédiat du club décoraient Vallecas. Tandis qu’Andoni Iraola, entraîneur de l’équipe masculine, jugeait les propos de son collègue “indéfendables”, Santiso s’est confondu en excuses et invoquera “une blague machiste impardonnable remontant à plus de quatre ans“, remerciant aussi publiquement la direction du club de lui maintenir sa confiance. Voilà comment on classe ce type d’affaire du côté du Rayo.
Presa, Sardá, Yañez, Luna, Laperal: Fuera de Vallekas!
Ces dernières semaines, la guerre faite aux Bukaneros est encore montée d’un cran avec l’interdiction pour eux d’arborer du matériel aux couleurs de leur groupe. Lors du 1/4 de finale de Copa del Rey face à Mallorca, les Bukaneros sont apparus torse nu pour protester après s’être fait confisquer leur matériel. Le club se retranche derrière une résolution de la Commission d’État contre la violence, le racisme, la xénophobie et l’intolérance dans le sport, contre les groupes de supporters jugés violents. Ça se traduit par un durcissement des contrôles et des fouilles abusives à l’extérieur du stade. Face à Osasuna, ce cirque répressif a bloqué à l’extérieur plusieurs centaines de supporters qui n’ont pu entrer que plus d’une demi-heure après le coup d’envoi. En réaction, les Bukaneros ont déserté le stade, laissant le fondo entièrement vide. Le zèle de Rosario Laperal, coordinatrice policière de la sécurité, est mis en cause par les ultras. “Sa mission est de dompter et de soumettre les supporters du Rayo Vallecano et, pour ce faire, elle outrepasse ses fonctions et viole constamment les droits des supporters.”
Si Raúl Martín Presa est le responsable majeur du climat délétère qui entoure le Rayo, les supporters franjirrojos n’oublient pas la petite clique qui lui sert de garde rapprochée. Celle-ci s’est réduite avec le départ récent de Luis Yañez, qui était au club depuis l’été 2014. José María Sardá (vice-président) et Felipe Luna (chef de la sécurité) accompagnent encore un Presa, de plus en plus isolé. Il ne lui reste plus que son ego et l’autorité que lui confère son statut de propriétaire. Celui qui déroule le tapis rouge aux fascistes comme Abascal pour mieux réduire à néant l’influence des supporters antifascistes est en train d’envoyer le Rayo Vallecano dans le mur. Rien ne sauvera son bilan. Et l’unanimité des “Presa dégage!” aux abords du stade ne lui laissent pas beaucoup d’options.
Les supporters avaient annoncé la couleur au début de la saison en sabotant la présentation publique de Falcao. Les mots de Presa avaient été couverts par des sifflets nourris et des chants hostiles, sous les yeux gênés de la star colombienne. Alors comment tout ça peut-il se terminer? “Le Rayo c’est nous!” répètent en chœur les supporters. Le conflit entre les fans du Rayo et Presa exprime cette tension entre propriété privée et propriété d’usage des clubs. A l’image d’Óscar Trejo, les joueurs pourraient bien prendre parti pour le camp du peuple: “La situation entre la direction et les supporters n’est pas la meilleure, mais les gens savent que nous sommes de leur côté et nous continuerons à l’être, car ce qu’ils font pour nous est incroyable.” Dix ans après avoir acquis 98% des parts du Rayo, Raúl Martín Presa expérimente cette vérité propre au football: posséder un club ne signifie pas qu’il lui appartient. Le sens de l’histoire, c’est qu’il s’en aille.
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