1er mai 1906: les origines ouvrières du Chacarita Juniors

Au début du siècle dernier, un certain nombre de clubs de football ont été créés en lien direct avec le mouvement ouvrier, socialiste, communiste ou anarchiste. En Argentine, c’est le cas du Chacarita Juniors, fondé un 1er Mai. Mais aussi des Argentinos Juniors, nés d’une équipe surnommée Les Martyrs de Chicago en hommage aux cinq ouvriers anarchistes éxécutés en 1887, en représailles à une manifestation où des policiers avaient été tués. Une histoire qui est à l’origine du 1er Mai.

En 1906, on ne célèbre le 1er Mai comme une journée internationale de lutte des travailleurs que depuis une vingtaine d’années. Un peu partout dans le monde, les ouvriers et les ouvrières se battent contre les cadences infernales et pour obtenir la journée de 8 heures. La répression policière et patronale contre les grévistes reste féroce. A vrai dire, nous n’avons pas vraiment d’infos sur le déroulement du 1er mai 1906 dans les rues de Buenos Aires. On peut imaginer que ce fut comme en France, une journée de grève générale. Par contre, la création ce jour-là du Club Atlético Chacarita Juniors à Buenos Aires, est tout à fait singulière. Et le choix de cette date n’est évidemment pas le fruit du hasard.

Le football est apparu en Argentine aux alentours de 1870, importé comme presque partout dans le monde par la petite bourgeoisie britannique. Plus précisément par Alexander Watson Hutton, directeur écossais d’un lycée bilingue privé de Buenos Aires au sein duquel le football est une discipline éducative à part entière, sur le modèle des public schools britanniques. Après plusieurs années de domination des équipes issues de ce sérail britannique et bourgeois, les années 1910 vont voir de nouvelles catégories sociales s’approprier le football. L’immigration italienne et espagnole participera au développement d’organisations ouvrières autour desquelles graviteront certaines structures sportives.

Club né dans un local socialiste

L’annonce officielle de la création de Chacarita Juniors n’a été publiée que le 12 mai 1906 dans le journal La Argentina, via une simple brève où l’effectif est présenté. On trouve entre autres, accompagné de ses trois frères, Maximino Lema qui est le premier président de l’histoire du club, mais aussi Aristides Ronchieri, les frères Ducasse et Juan Facio. Ces copains ont nommé leur club “Chacarita”, du nom de leur quartier. Ces membres fondateurs sont à la fois dirigeants, socios et joueurs.

C’est dans les locaux du Centre Socialiste de la 17e section dite de Dorrego y Gribone, à la frontière du quartier de la Villa Crespo, que le club a vu le jour. Plus tard, c’est la laiterie située au 3636 de l’avenue Jorge Newbery qui leur servira un temps de siège social. Même si le club a aujourd’hui déménagé de son quartier d’origine, le derby de la Villa Crespo, qui l’oppose au Club Atlético Atlanta, est l’objet d’une rivalité historique et marquante au sein du football argentin.

Sans chercher à embellir l’histoire du club de Chacarita, nous parlons d’un temps où les Partis Socialistes n’étaient pas les porte-drapeaux du libéralisme qu’ils sont aujourd’hui. Malgré un penchant pour le parlementariste, au début du 20e ils avaient encore pour coutume de se ranger derrière les revendications ouvrières, notamment sur la question du temps de travail, et de reconnaître la lutte des classes comme moteur de l’Histoire. Le 1er Mai n’est donc pas une date anodine pour ces jeunes hommes.

Maillot rouge… et noir un peu

Au tout début, les joueurs n’arborent pas encore leurs couleurs historiques mais un maillot bleu ciel. Mais ils vont très vite adopté leur célèbre maillot rouge rayé de noir et de liserés blancs esthétiques. Les couleurs choisies sont bien entendu politiques et attestent de la volonté pour le club de représenter les idées socialistes de ses fondateurs. Le rouge réfère immanquablement au mouvement socialiste. Le noir pourrait laisser penser à l’anarchisme ouvrier de la puissante Fédération Ouvrière Régionale Argentine (FORA), rattachée à la Première Internatonale. Mais l’histoire attribue une autre origine à ces bandes noires sur le maillot des Chacarita Juniors, dont le siège se situe à proximité du grand cimetière établit là en 1871. Ce voisinage, on la retrouve dans un des surnoms du club: los funebreros, soit les « croque-morts ».

Aujourd’hui, cette histoire semble très loin. Le temps a fait son affaire. Hormis deux petites escarmouches dans l’élite, la dernière en date pour la saison 2017/18, Chacarita se débat aujourd’hui en 2e division argentine. Ses origines ouvrières et socialistes ont été effacées. Le haut niveau, même dans des championnats moins dotés économiquement, a tendance à absorber ces identités où alors à les résumer à leur aspect le plus folklorique. En sommes, rien d’inédit dans le football moderne. Malgré tout, côté tribunes, Chacarita reste un club plutôt soutenu par des prolétaires et autres gens de condition modeste. On ne change pas d’un coup de baguette magique la classe sociale des gens qui suivent un club depuis plusieurs générations.

Carlos et Maximino Lema, deux des fondateurs du CA Chacarita Juniors

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