Les anglais ont inventé le football, ils ont développé le professionnalisme, et il se pourrait qu’ils en inventent aussi la variante qui permet de maintenir à n’importe quel prix l’activité footballistique en période de crise sanitaire majeure. Un football joué sous cloche qui pourrait bien faire des émules chez ses voisins.
Depuis trois semaines, le football mondial est quasiment à l’arrêt total. Et, chaque jour qui passe, les grosses écuries que sont les ligues du « Big 5 », comme on appelle les cinq principaux championnats européens (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et France) font un peu plus la grimace. Personne ne sait réellement quand les championnats vont reprendre, car tout dépend de l’évolution de la pandémie de coronavirus. Au fond, tout le monde sait qu’il ne serait ni sérieux ni décent de revenir sur les terrains avant que la pandémie ait été endiguée. Mais l’appât du gain ne s’encombre pas de ce genre de considération.
Pour le moment, toutes les compétitions sont encore officiellement suspendues au moins jusqu’au 30 avril. Et comme partout, l’arrêt définitif de la saison de Premier League fait débat. Mais comme partout, excepté peut-être en Italie, c’est un débat qui tourne très court. La grande majorité des patrons de clubs jugent cette option inconcevable devant l’importance des répercussions économiques qu’elle aurait. En France, le diffuseur Canal + a interrompu le versement des deux dernières traites des droits TV, soit 110 millions d’euros. En Premier League, la somme à rembourser à SkySports et BT Sports pourrait s’élever à 842 millions d’euros si la saison venait à ne pas reprendre.
Finir la saison au début du mois d’août?
Les matchs doivent donc reprendre, envers et contre tout. L’UEFA a déjà déblayé le calendrier international pour permettre aux compétitions domestiques d’aller à leur terme. L’Euro 2020 a été reporté d’un an, l’intégralité des matchs internationaux prévus au mois de juin ainsi que les finales européennes ont tous été aussi repoussés à une date ultérieure. Ça laisse aux ligues un peu plus de latitude pour boucler l’exercice actuel d’ici au 30 juin, date officielle de clôture de la saison, à laquelle de nombreux contrats de joueurs arrivent à échéance. Pour éviter des déconvenues, l’UEFA a d’ors et déjà posé une nouvelle deadline le 3 août. Pour la Premier League les matchs devront néanmoins avoir été joués avant le 16 juillet, date contractualisée avec les diffuseurs.
Ce calendrier qui se dégage reste soumis à l’incertitude générale lié à l’évolution de la pandémie qui oblige encore une grande partie de la population européenne à rester confinée. On ne sait pas jusqu’à quand. Selon les épidémiologistes, en Angleterre le pic de contamination est attendu pour le mois de juin. Alors, envisager que les matchs puissent être joués à ce moment-là paraît autant irréaliste qu’inconscient.
Mais face à la perspective d’un confinement prolongé, et comme le football ne devrait pas être considéré demain comme une activité indispensable à la continuité de la vie de la nation, les clubs n’excluent plus aucune piste qui irait dans le sens d’une reprise. En France, certains clubs discuteraient la possibilité de demander une dérogation au Ministère des Sports pour pouvoir reprendre la compétition avant la fin de la période de confinement. Des tractations qui ne font pas l’unanimité. « On va se ridiculiser auprès de la population » a notamment confié Pierre Ferracci, président du Paris FC (Ligue 2), à France TV.
Football sous Covid
Dans le même registre de ne pas attendre la fin des mesures de confinement, la presse anglaise a révélé que les clubs de Premier League plancheraient très sérieusement sur une piste saugrenue : faire jouer les matchs à huis clos sur des camps de base isolés, dans les Midlands et autour de Londres. Le modèle, c’est le retranchement tout confort des équipes lors de la Coupe du Monde. En d’autres termes, la proposition est de finir la saison en mettant les équipes « en quarantaine », pour contourner l’obstacle du confinement.
Les dirigeants y voient un format inédit qui permettrait d’organiser un « méga-événement télévisé » estival avec les 92 matchs restants. Ce qui n’est pas pour déplaire au gouvernement de Boris Johnson qui voit d’un bon œil l’idée d’occuper la population confinée chez elle avec une bonne surdose de sport à la télé. L’ampleur de l’événement générera aussi du profit grâce à la publicité, notamment pour les sociétés de paris en ligne. Que demande le peuple !
Bien sûr pour l’instant ce n’est qu’un projet, mais on se dirige vers cette option qui a les faveurs des dirigeants pensant bien avoir trouvé là le remède à leurs angoisses de coffre-fort. Malgré tout, ce projet extrême est encore loin d’être ficelé au niveau logistique. Le plan consiste quand même à confiner les joueurs, les staffs, les officiels et les équipes de cameramans, dans des hôtels mis à disposition, pour une certaine période. A quelle condition vont-ils accepter ça ?
Cynisme
Un projet comme celui-là, censé tomber au moment du pic de l’épidémie, demande de se projeter un minimum. Pendant que les matchs seront en train de se jouer, les hôpitaux seront surchargés de malades en réanimation et les besoins médicaux seront au max. Une question toute bête a été posée par une voix discordante : « où iront se faire soigner les joueurs qui se seront fracturés la jambe ? Les hôpitaux auront des problèmes bien plus importants à régler. » De même que la sollicitation de personnels médicaux pour les matchs, c’est à dire des événements loin d’être essentiels au plus fort de la crise sanitaire, pose une vraie question éthique et révèle la relative indifférence, voire le mépris, des dirigeants du football à l’égard de la réalité sociale.
Le visage de l’industrie du football en temps de crise est un visage cynique. Pour les centaines de millions d’euros versés par les diffuseurs, il faut jouer à tout prix quitte à improviser une fin de saison sous cloche, à l’abri de ce virus que les gens seront en train d’affronter en comptant les morts. Il ne faut pas sous-estimer le football moderne, il est toujours capable du pire.
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