Trente-trois après son dernier match sur la scène européenne, le Velez Mostar y fait son retour dans la toute nouvelle Europa Conférence League où il affrontera les Nord-Irlandais de Coleraine au 1er tour des qualifications, après un long chemin de croix.
Avant de réaliser son come-back en coupe d’Europe, le Velez Mostar a déjà dû commencer par remonter dans l’élite bosnienne en 2019. Les Rođeni venaient de passer trois saisons en 2e Division. C’était la seconde fois qu’ils passaient par l’antichambre. Ils avaient déjà connu une parenthèse de trois saisons à l’étage inférieur entre 2003 et 2006. Le Velez – du nom de la montagne qui surplombe la ville – est à la recherche d’un passé qui n’a pas besoin de convoquer une multitude de trophées pour être mythique. Mais plus qu’à tout autre club, la guerre a pris beaucoup au Velez Mostar.
Pour les romantiques, l’histoire du Velez est avant tout l’histoire celle d’un club yougoslave qui a connu sa période de gloire entre 1973 et 1987 – soit la première et la dernière fois que le Velez terminait le Championnat de Yougoslavie à la 2e place – et qui a dû se reconstruire sans les repères qui étaient les siens après la Guerre des Balkans. Avec ses deux coupes nationales à son modeste palmarès en 81 et 86, le Velez a bataillé dans un football yougoslave au niveau très relevé et dominé par un quatuor serbo-croate : Etoile Rouge de Belgrade, Partizan Belgrade, Hajduk Split et Dinamo Zagreb. Le temps d’une quinzaine d’années, les Rođeni ont joué des coudes face à ce “Big 4”, se qualifiant à plusieurs reprises pour les compétitions européennes, en Coupe de l’UEFA et en Coupe des Coupes.
Le vrai club de Mostar, malgré le Zrinjski
Le Velez est un club singulier, dans une ville singulière: Mostar et son célèbre pont, le Stari Most, dont elle tient son nom. Enjambant la Neretva, ce joyaux de l’architecture ottomane symbolisait jusqu’à sa destruction fin 93 par les milices ultra-nationalistes croates, l’union entre les communautés des deux rives. D’un côté la communauté croate et catholique dont le fief est à l’ouest, et de l’autre la population majoritairement bosniaque et musulmane. Longtemps, le Velez jouera d’ailleurs à l’ouest, dans le stade de Bijeli Brijeg où il écrira, entre 1958 et 1992, ses plus belles pages.
Créé en 1922 à l’initiative du syndicaliste Gojko Vuckovic, le Velez est le club de la classe ouvrière locale. Avec son étoile rouge comme emblème et sa sympathie affichée pour le mouvement communiste, le club est rapidement dans le viseur des autorités du Royaume de Yougoslavie. Dans une ville où il existe déjà le Zrinjski qui est depuis 1905 le club des notables de la communauté croate, le Velez apporte au prolétariat multi-ethnique de Mostar un club auquel il pourra s’identifier. La rivalité féroce entre les deux clubs, opposés en tout, a toujours été politique. Durant la 2nde Guerre Mondiale, tandis que plusieurs joueurs du Velez, déclaré illégal en 1940, sont engagés dans la résistance – 77 footballeurs du club seraient morts pendant la guerre – les pro-fascistes du Zrinjski s’affichent eux aux côtés des Oustachis de l’Etat Indépendant de Croatie (de 1941 à 45). A la libération du pays par les Partisans antifascistes rangés derrière Tito, le Zrinjski sera logiquement banni.
La rivalité reprendra dans les conditions sulfureuses des lendemains de la Guerre des Balkans qui aura vu le Zrinjski, qui n’a jamais cessé d’être une officine sportive du nationalisme croate, spolier le stade historique du Velez. Une prise de guerre qui résulte du siège de Mostar entrepris par les milices du HVO croate et de l’expulsion des Musulmans de la partie ouest de la ville passée sous son contrôle. Après cette guerre, dans un football bosnien en pleine construction, le Velez a dû panser ses blessures là où le Zrinjski a enchaîné les titres. Mais son histoire reste une de ses forces.
L’ère Rebac et la “BMV”
Le bannissement du Zrinjski a ouvert un boulevard au Velez Mostar qui est devenu le club majeur de la ville. Mais le club mettra quand même une dizaine d’année à se stabiliser en 1ère Division yougoslave. Après un titre de Champion de 2e Division en 55, le Velez ne quittera plus l’élite Yougoslave jusqu’à sa désintégration de 92. Toutefois, hormis une finale de Coupe en 58, les Rođeni mettront une bonne quinzaine d’année à écrire leurs premiers faits d’arme.
L’arrivée de Sulejman Rebac sur le banc du Velez en 1968, marque un virage dans l’histoire du club. L’ancien attaquant aux stats monstrueuses (302 buts en 404 matchs) est probablement la première vraie star du club après-guerre. Lui-même jeune coach, “Sula” va rajeunir l’effectif, n’hésitant pas à construire son projet autour de jeunes joueurs du club: la génération des Enver Marić, Dusan Bajević, surnommé “Le Prince de la Neretva”, et Franjo Vladić. Le latéral Džemal Hadžiabdić, Vahid Halilhodzić et Boro Primorac, qui finiront tous les deux leur carrière en France, les rejoignent rapidement. Le Velez surprend alors les observateurs par sa fraîcheur et son allure offensive. Halilhodzić et Bajević font des misères aux défenses adverses.
Le trio Bajević – Marić – Vladić, baptisé la “BMV”, incarne l’ère Rebac. Bajević le Serbe, Marić le Bosniaque et Vladić le Croate symbolisent aussi le caractère multi-ethnique qui fait la force et la popularité du Velez Mostar. Sur le papier moins puissant que ses rivaux de Belgrade ou Zagreb, le Velez Mostar de Rebac va faire du vivier de son école de foot un véritable atout charme et la base d’un collectif redoutable. La clause protectionniste instaurée par le régime titiste, interdisant les transferts à l’étranger avant que les joueurs aient atteint 28 ans, lui offre une stabilité précieuse. Et les saisons 72/73 et 73/74 font partie des saisons “références” dans l’histoire du club, avec en point d’orgue ce 1/4 de finale de Coupe UEFA en 1975, face au FC Twente, futur finaliste de la compétition.
Les Rođeni ne font pas que rivaliser avec les cadors du football yougoslave, ils s’imposent comme de sérieux prétendants au titre, ne le perdant face à l’Hajduk Split en 74 qu’à la différence de buts. Pour le site These Football Times, qui relève au passage que cette saison-là le Velez a obtenu plus de victoires que son rival de Dalmatie, avec la règle de la victoire à 3 pts le club de Mostar aurait été Champion de Yougoslavie. Mais si on pouvait réécrire l’Histoire, le Velez ne se limiterait probablement pas à cette seule page.
Après la mort de Tito, le Velez respire toujours
L’ère Rebac s’achève en 76, sans titre, mais pas sans avoir pu rivaliser avec les cadors. Les départs de Marić à Schalke 04, puis de Bajević et Vladić à l’AEK Athènes, ne tarderont pas à suivre celui du coach. Sula Rebac a posé son empreinte. Quand il s’éteint en 2006 à l’âge de 77 ans, Dusan Bajević salue “un homme qui n’était pas seulement un entraîneur, mais un professeur de vie qui nous a beaucoup appris sur la façon d’être des hommes dont le peuple se rappellerait.”
C’est dans les années 80 que le club décrochera les deux seules Coupes de Yougoslavie de son histoire. Un an après la mort de Tito, le Velez devient, avec Milos Milutinovic à sa tête, le premier club de Bosnie-Herzégovine à remporter ce trophée rebaptisé “Coupe du Maréchal Tito”. Ce jour-là, plusieurs dizaines de milliers de fans du Velez avaient déferlé à Belgrade pour voir les leurs l’emporter 3-2 sur le Zeljeznicar Sarajevo, dans une finale 100% bosnienne! C’est aussi la première fois qu’a résonné Rođeni, Rođeni, l’hymne du club interprété par Željko Samardžić. Un chant à la gloire de Mostar, de la Neretva et du symbole d’unité qu’est le Velez. Samardžić le jouera avant la finale de 86, remportée face au Dinamo Zagreb, puis avant le match retour contre le Borussia Dortmund au 2e tour de la Coupe UEFA en 87, dans un stade de Bijeli Brijeg chauffé à blanc.
Ce premier titre majeur dans l’élite yougoslave ouvre une nouvelle page glorieuse. D’autant que la saison 81/82 voit le retour conjoint de Dusan Bajević et Franjo Vladić, reconstituant la “BMV”, Marić étant revenu d’Allemagne entre temps. Ils reviennent dans une équipe qui porte encore la patte de Rebac qui avait lancé dans le grand bain plusieurs joueurs devenus des titulaires. Mais la crise économique qui frappe durement le pays impacte aussi les clubs. Confrontés au manque de liquidités, beaucoup sont contraints de brader leurs meilleurs éléments au profit des clubs les plus puissants du pays. Le Velez n’a ainsi pas pu éviter le départ de Blaz Sliskovic, son maître à jouer depuis quelques saisons, vers l’Hajduk Split.
Destin d’un club yougoslave face à la montée du nationalisme guerrier
Pour survivre, le Velez puisera encore dans ses ressources. Après 322 matchs et 166 buts pour le club, Dusan Bajević raccroche les crampons à l’âge de 36 ans et prend place en 83 sur le banc des Rođeni. Celui dont Rebac avait su tirer le meilleur va rendre hommage à son mentor en menant le Velez à la conquête de sa deuxième coupe nationale en 86, enchaînant la saison suivante par une deuxième place en championnat. C’est sur ce bilan que le “Prince de la Neretva” quitte le Velez, avec la satisfaction de l’avoir ramené sur la scène européenne porté par le génération talentueuse des Ismet Sisic, Goran Juric et Semir Tuce, élu joueur yougoslave de l’année 86. Quelques mois plus tard, Bajević entamera une longue carrière d’entraîneur en Grèce, couronnée de nombreux titres avec l’AEK puis Olympiakos.
Sur la fin de la décennie, le Velez ne dérogera pas à sa tradition de faire éclore de jeunes talents du cru: Vlado Gudelj, qui fera plus tard les beaux jours du Celta Vigo, et Meho Kodro qui rejoindra la Real Sociedad. Tous les deux auront le temps de former le dernier duo d’attaque des Rođeni en 1ère Division d’une Yougoslavie en train de se désintégrer violemment sous les coups de boutoir des nationalistes serbes et croates. Peu après, alors qu’en Bosnie la guerre a officiellement éclaté, le Velez a encore trouvé les moyens d’offrir à la Bundesliga deux de ses pépites: Sergej Barbarez et Hasan Salihamidzic. Comme deux dernières lueurs avant trois années de massacres ethniques, de charniers, de villes assiégées, de snipers, de pilonnage au mortier.
Le Velez, symbole d’unité, ne résistera pas à la folie guerrière. La Bosnie-Herzégovine est au carrefour de cet embrasement nationaliste auquel les tribunes vont servir de caisse de résonance, comme l’explique Loïc Trégourès dans son livre Le Football dans le chaos yougoslave. Même la bonne tenue footballistique de l’équipe nationale, à son apogée, n’apaisera rien. Lors du Mondial 90 en Italie, les supporters du Velez Mostar ont fait partie des rares à avoir fait le déplacement pour soutenir la sélection yougoslave. La bâche rouge et jaune de la Red Army sera une des plus visibles.
Toujours invaincu à domicile en Coupe d’Europe
Il faudra attendre l’an 2000 pour voir la création du premier Championnat unifié de Bosnie-Herzégovine. Le Velez peine à se reconstruire et fait deux fois l’ascenseur en 2e division. Pendant que le Zrinjski, ressuscité par les ultra-nationalistes croates, étoffe son palmarès. Entre temps, orphelin de Bijeli Brijeg, le Velez avait été obligé de se retrancher en périphérie, au Stadion Vrapčići, rebaptisé plus tard Stadion Rođeni.
Depuis 2019 et l’arrivée de Feđa Dudić sur le banc, le Velez Mostar semble avoir retrouvé une dynamique dont il avait oublié la saveur, de celle qui permette de retrouver l’Europe. Pour le premier tour de qualification de la nouvelle Ligue Europa Conférence, même si ce ne sera pas au Stadion Rođeni (mais au Grbavica de Sarajevo), il faudra se défaire des Nord-Irlandais de Coleraine. L’occasion de mettre à l’épreuve l’invincibilité du club à domicile sur la scène continentale. Un objectif plus symbolique qu’autre chose, car c’est à Bijeli Brijeg que tous les visiteurs européens du Velez se sont cassés les dents, mais qui renoue un peu le fil déchiré avec son illustre passé.
Le retour du Velez est déjà une victoire en soi. Son dernier match remonte au 7 décembre 1988 avec une victoire 2-1 sur le club écossais d’Hearts of Midlothian. Une éternité qui donne à ce premier tour de qualifs une saveur particulière.
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