Les enjeux de la grève historique des footballeuses en Espagne

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Les footballeuses professionnelles évoluant en Liga Iberdrola, première division espagnole, ont entamé leur grève tant attendue pour la signature d’une convention collective égalitaire. Très suivie, elle se heurte encore au blocage des patrons de club. Les grévistes l’ont dit, si rien ne bouge, elles remettront ça le week-end prochain.

Ce samedi 16 novembre, les deux premières rencontres de la 9e journée, Espanyol – Granadilla et Levante – Huelva, n’ont pas eu lieu. Les joueuses se sont tenues à l’engagement ferme pris à la fin du mois d’octobre de se mettre en grève illimitée à compter des 16 et 17 novembre, à l’appel de l’AFE, de Futbolistas ON et de l’UGT. Les autres rencontres de cette 9e journée ont connu le même sort.

« Nous sommes préoccupées par la question du temps de travail et de notre couverture sociale en tant que travailleuses. Par exemple, nous demandons que les arrêts de travail pour blessure soient couverts à 100 %, car certaines collègues blessées de longue durée voient leur salaire réduit de 30 %. Nous demandons aussi une protection en cas de grossesse, le rejet du harcèlement et l’amélioration des soins et examens médicaux. »

Ainhoa Tirapu

Le temps partiel au cœur du bras de fer

Après 13 mois de négociations infructueuses et une vingtaine de réunions. Les footballeuses ont montré un niveau de patience rare au regard de la précarité économique dans laquelle évolue un grand nombre d’entre elles, émargeant à moins de 700 euros par mois. La grève n’était pas seulement devenue inévitable, mais aussi indispensable face au mépris patronal, incarné par l’Asociación de Clubs de Fútbol Femenino (ACFF) qui défend les intérêts des dirigeants de clubs, exceptés le FC Barcelone, le CD Tacón et l’Athletic Bilbao.

Porte-parole de la mobilisation, Ainhoa Tirapu, gardienne de but de l’Athletic Bilbao, a de nouveau expliqué aux les motivations des grévistes : « Nous n’avons pas appelé à la grève pour gagner plus d’argent. Si c’était le cas, nous aurions déjà accepté les offres augmentant le salaire minimum qui nous ont été faites auparavant. Ce que nous voulons, c’est que soit réglementé notre temps de travail. »

Les footballeuses ont déjà fait des compromis sur leurs revendications de départ, passant de 20 000 à 16 000 euros bruts de salaire minimum annuel. Si sur le montant, syndicats de footballeurs et patrons de clubs sont tombés d’accord, c’est sur le temps de travail que ça coince. L’ACFF entend visiblement compenser ses infimes « concessions » en limitant les contrats à 20 heures hebdomadaires. Ce qui ne change rien à la situation des joueuses qui ne verront pas leur situation s’améliorer avec un salaire annuel bloqué ainsi à 8000 euros bruts. Le compromis se situerait sur le principe de contrats à 75 %, idée à laquelle les joueuses se sont aussi faites. Ce qui fixerait le salaire minimum à 12 000 euros annuels, soit environ 1000 euros. C’est bien pour ces simples montants, qu’il juge insurmontables, que le patronat s’oppose toujours à un accord qui permettraient à la majorité des footballeuses de vivre un peu plus décemment de leur travail.

Exploitation capitaliste et discrimination sexiste

Sonia Bermúdez (Levante) et Ainhoa Tirapu (Athletic Bilbao)

« L’ACFF, poursuit Ainhoa Tirapu, a recommandé aux clubs de contractualiser les joueuses à temps partiel, mais nous estimons que c’est insuffisant. Nous nous entraînons quatre jours par semaine, plus les matchs, plus les voyages lors des rencontres à l’extérieur. Cela fait bien plus de 20 heures par semaine. Et c’est sans compter qu’au niveau de l’alimentation ou du repos, on se doit d’être footballeuse 24 heures par jour. »

Ces contrats à temps partiel sont évidemment une manière pour les clubs de faire des économies sur le dos des joueuses. A l’image du reste de la société, le temps partiel imposé est majoritairement subi par des femmes. La précarité salariale des footballeuses espagnoles est aussi largement emprunte de discrimination sexiste de la part du patronat.

« Une joueuse à temps partiel, ne cotise qu’à 50 %. Imaginez le moment où elle prendra sa retraite et constatera que les dix ou quinze années de sa carrière de footballeuse ne compteront que comme cinq ou sept années de travail. La question des cotisations est déterminante pour tout ça, de la question du chômage à celle de l’indemnisation en cas de blessure grave » a ajouté la porte-parole des grévistes qu’on retrouve aux côtés de Mariasun Quiñones (Real Sociedad), Jade Boho (EDF Logroño), Sonia Bermúdez (Levante) et Silvia Meseguer (Atlético de Madrid) dans une courte vidéo de lancement de la grève.

Mediapro arbitre opportuniste ?

De leur côté, les patrons des clubs s’opposent à cette convention collective. Ils veulent garder les mains libres, conscients que le flou contractuel autour du statut des footballeuses leur profitera toujours. Les clubs sont restés au passage assez discrets sur leur comptabilité. « Nous ne savons pas à quoi les clubs destinent leurs revenus qu’ils perçoivent sous la forme de subventions, de sponsoring ou de droits télé. Nous demandons un rapport transparent avec les montants exacts pour ajuster nos revendications, mais il ne nous a pas été fourni. »

Les patrons de club, retranchés derrière l’ACFF, qui chiffrent les revendications des footballeuses à 1.5 millions d’euros, prétendent qu’ils ne peuvent pas payer. Quelques jours avant la grève, dans une ultime tentative de la désamorcer, le diffuseur Mediapro a proposé à l’ACFF de couvrir cette somme, en échange des droits de retransmission des deux matchs hebdomadaires. Mediapro lorgne en effet sur la Liga Iberdrola, où ce sont les clubs qui négocient directement leurs droits de retransmission avec le diffuseur de leur choix. Mais c’est la Fédération (RFEF) qui s’est opposée à cette option, voyant d’un très mauvais œil l’arrivée en fanfare du diffuseur dans les négociations.

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