Organiser une finale de coupe d’Europe, ça s’apprend

Un mot revient: fiasco. Médias français comme étrangers s’accordent sur ce constat. Reste à en déterminer les causes. Le ministère de l’Intérieur et l’UEFA ont la même stratégie: accuser les “fans sans billet”. Comme c’est pratique!

La tradition française en matière de gestion des supporters va encore faire parler après la finale de la Ligue des Champions jouée au Stade de France entre Liverpool et le Real Madrid. Une finale qui aurait dû initialement se tenir à Saint-Petersbourg. L’opportunisme d’Emmanuel Macron l’a vue être relocalisée à Saint-Denis par l’UEFA, dans le cadre des sanctions infligées à la Russie, dès le lendemain de l’invasion militaire en Ukraine. Plusieurs voix s’étaient alors extasiées devant ce qu’elles faisaient quasiment passer pour un coup de maître.

Reconnaissons néanmoins un mérite au président Macron: l’organisation calamiteuse aux abords du Stade de France a rappelé au monde entier l’incompétence des autorités françaises pour encadrer sereinement un afflux de supporters d’une équipe de football, y compris quand ces derniers sont dans une dynamique festive. Accueillir une finale et donc les milliers de supporters qui vont avec, il n’y a pas de secret, ça s’apprend. Mais comment être surpris de ce fiasco dans un pays où les préfets de police ont passé la saison entière à interdire les déplacements de supporters en Ligue 1 et en Ligue 2?

Des défaillances à tous les étages, des mensonges pour les couvrir

Comment la France peut prétendre à l’organisation de ce type d’événements quand sa doctrine archaïque de gestion des foules – de supporters comme de manifestants – repose essentiellement sur les coups de matraque et l’usage de gaz lacrymogènes? Mention spéciale à la Préfecture de Paris et à son chef Didier Lallement, égérie de ce “maintien de l’ordre à la française”. Le travail des journalistes est d’ailleurs régulièrement entravé au moment de documenter la besogne de la police. Un journaliste anglais aurait même été contraint par la sécurité d’effacer les images qu’il venait de capter sous peine de se faire confisquer son accréditation.

Du côté du gouvernement, la machine propagandiste n’a pas tardé à se mettre en branle. Pour masquer son incurie et justifier la brutalité policière, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la nouvelle ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera ont accusé d’une même voix les « milliers de “supporters” britanniques, sans billet ou avec des faux billets [qui] ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers.» Même argumentaire réflexe du côté de l’UEFA: « A l’approche du coup d’envoi du match, les tourniquets du côté des tribunes réservées à Liverpool ont été bloqués par des milliers de spectateurs qui ont acheté des faux billets qui ne fonctionnaient pas ».

Déjà interpelée par Football Supporters Europe (FSE) au sujet de graves dysfonctionnements lors de la finale de Ligue Europa à Séville la semaine passée, l’UEFA est de nouveau sous le feu des critiques. Les manquements de l’instance, caractérisés par des stadiers certainement en nombre insuffisant, et donc rapidement débordés, n’ont pas commencé au Stade de France. L’afflux massif de supporters de Liverpool, dont certains sans le précieux sésame, était prévisible. Le collectif Spirit of Shankly avait alerté l’UEFA sur le nombre largement insuffisant de billets alloués aux supporters des deux clubs finalistes (19 618 chacun), favorisant une flambée des prix sur les sites de revente.

Même lésés, les supporters sont toujours sur le banc des accusés

Les supporters de Liverpool sont rompus aux discours mensongers déversés pour les accuser. Déjà marqués dans leur chair par le drame d’Hillsborough et les accusations fallacieuses des médias et du pouvoir thatcherien, l’histoire semble se répéter pour eux. Au Stade de France, la version de Darmanin – construite à grand renfort d’images de gens escaladant les grilles – a été largement contredite par nombre de témoins directs du manque de sang-froid des forces de l’ordre – euphémisme – et des multiples défaillances dans l’accès aux tribunes du Stade de France. A l’approche du coup d’envoi qui a été retardé de 36 minutes, plusieurs milliers de supporters étaient encore bloqués. Leur arrivée étant sérieusement retardée par les opérations de filtrages à l’extérieur du stade, à la sortie du RER.

Plus d’une heure et demi avant le début du match, une scène filmée par Rob Draper du Mail Sport, montre un “check-point” de la gendarmerie, en renfort des stadiers, ralentissant l’avancée des fans des Reds et formant un goulot d’étranglement dangereux, au lieu de fluidifier l’accès au stade. Un peu tard, des unités anti-émeute vont intervenir pour “rétablir l’ordre” nous dit-on. Sur Twitter, le journaliste britannique explique qu’il a compris assez vite que la nature du dispositif de sécurité allait conduire au chaos. Un témoignage parmi d’autres qui fait voler en éclat les déclarations fracassantes sur l’indiscipline des supporters, et des jeunes habitants de Seine-Saint-Denis venus parfois tenter leur chance.

Mais ni Darmanin, ni Ceferin ne reculent devant la honte d’attribuer la responsabilité de ce qu’il s’est passé aux supporters sans billet alors même que des centaines, peut-être des milliers, de supporters de Liverpool munis d’une place payée au prix fort, sont restés bloqués à l’extérieur et n’ont pas pu assister au match. Et, preuve qu’il ne s’agit pas d’un simple problème de resquilleurs, d’autres scènes de violences policières contre des supporters ont aussi été observées Place de la Nation aux abords de la fan zone de Liverpool. Sur le terrain, le Real a emporté sa 14e coupe aux grandes oreilles mais, à l’extérieur, l’UEFA et la Préfecture de Paris, aussi mauvaises l’une que l’autre, n’ont pas réussi à se départager.

Édito n°44

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