Le Racing Club de Avellaneda organisait le 8 décembre dernier dans son stade, une cérémonie pour restituer, en présence de leurs familles, le statut de socios du club à 46 de ses membres “disparus” par les escadrons de la mort du général Videla.
Un à un et par ordre alphabétique, le nom de chaque desaparecido a été prononcé, suivi de la lecture d’une courte présentation. Puis les proches sont montés sur une petite estrade pour se voir remettre le carnet de “socio eterno” des mains des dirigeants. Un rituel répété à 46 reprises et ponctué à chaque fois d’une même sentence: “Présent, maintenant et toujours“.
La Academia – comme on surnomme le Racing – vient d’écrire une page importante de son histoire avec cette cérémonie pleine d’émotion pour accorder le statut de “membre éternel” aux 46 desaparecidos du club. Le Racing n’est pas le premier club argentin à avoir fait ce type de démarche pour honorer la mémoire de ses membres qui font partie des 30 000 desaparecidos revendiqués par la célèbre association des Mères de la Plaza de Mayo. En 2019, Banfield avait ouvert la voie. D’autres comme le CA Huracán ont aussi mis à l’honneur leurs socios enlevés et assassinés durant ces années sombres. Du côté d’Avellaneda, l’initiative a été impulsée par cinq socios du club en mars dernier. Dans une lettre adressée à la direction du Racing, 45 ans après le coup d’état de Videla, ils rappelaient le lourd tribut payé à la dictature par les membres du club. “La communauté – ou la grande famille – racinguista a été touchée de façon irréparable par la perte d’une partie de ses membres à cause de la plus grande barbarie dont l’Argentine a souffert le siècle dernier.”
Au nom de ses 46 disparus
Carlos Krug est un de ces cinq socios. Son frère Alberto, membre de la guérilla péroniste de gauche, a été enlevé par les militaires en décembre 76. Il ne l’a plus jamais revu. Mais, comme le raconte le journaliste Enric Gonzalez, leur mère a continué de payer sa cotisation au Racing jusqu’en 1980. “Elle pensait que si Alberto revenait un jour, il n’aurait qu’une hâte, aller au Cilindro pour voir jouer le Racing. Bien sûr, Alberto n’est pas revenu. On a fini par apprendre qu’il avait été torturé à l’Escuela Superior de Mecánica de la Armada (ESMA) et jeté dans le Río de la Plata.” L’histoire d’Alberto Krug, parmi d’autres, a fini par inciter la direction du Racing à mettre sur pied un hommage digne de ce nom pour les disparus.
Même si une première porte avait déjà été ouverte quelques années auparavant avec la parution en 2017 du livre du sociologue Julian Scher, Los desaparecidos de Racing, racontant l’histoire de onze supporters du club victimes des tortionnaires de la dictature. Une publication qui avait alors eu un impact au delà d’Avellaneda et qui avait eu une influence sur la création de la Coordinadora de Derechos Humanos del Fútbol Argentino, la Coordination des Droits de l’Homme du Football Argentin.
“C’est une énorme réparation”
Présente aussi au Cilindro, Taty Almeida est une des figures emblématiques des Mères de la Plaza de Mayo. Son fils Alejandro a disparu à l’âge de 20 ans – dans les mois précédant le coup d’état – après avoir été enlevé en juin 75 par l’Alliance Anticommuniste Argentine (la “Triple A”), un escadron de la mort à qui est attribuée la disparition de près de 2000 personnes. Infatigable combattante pour la vérité et la justice, Taty Almeida a parlé au micro de “jour historique”, remerciant le club. “C’est la première fois que je marche sur ce terrain, je pense à toutes les fois où Alejandro a dû le faire et le fait encore. Alejandro, présent… Maintenant et toujours” a-t-elle aussi confié au média Página/12.
Au milieu des familles, des joueurs et joueuses du club comme Eugenio Mena, Enzo Copetti, Rocío Bueno et Luana Muñoz étaient aussi présents à la cérémonie. “Nous devions rembourser cette dette envers leur mémoire“, avait déclaré le président Victor Blanco il y a quelques semaines. Certes c’est un acte très symbolique, mais il est allé droit au cœur des familles. “C’est une énorme réparation. Aujourd’hui, nous avons le sentiment qu’ils les ont ramenés à la vie“, a ajouté Graciela Villalba, la fille de l’un d’entre eux.
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