Anton Rabb, le footballeur anti-nazi gravé dans les mémoires nantaises

Avec un passage fugace sur les bords de la Vilaine, Anton Rabb n’est pas le plus connu des joueurs passés par les rangs rennais et nantais. Mais sa vie de roman marquée par son engagement anti-nazi en fait sûrement l’un des plus singuliers.

Sur son blog “Bretagne Libre”, Gaël Roblin profitait en 2015 des débats sur le changement de nom du Stade de la Route de Lorient, pour mettre son grain de sel. Prenant au mot le président Ruello qui affirmait vouloir faire du Stade Rennais « un club qui s’identifie bien à la Bretagne et dans lequel la Bretagne se retrouve », le militant de la gauche indépendantiste soumettait alors, un brin provocateur, le nom d’un certain Anton Rabb. Le footballeur allemand est pourtant bien plus associé à l’histoire du grand rival du FC Nantes. Mais ce sens du contre-pied est finalement fidèle à l’histoire parfois déroutante d’Anton Rabb, ayant fui le nazisme après l’avoir combattu en première ligne en Allemagne.

Né à Francfort en 1913, Anton Rabb est issu d’une famille prolétaire. Ce fils d’éclusier a grandi dans un milieu emprunt de pacifisme. Son père est revenu, comme beaucoup, meurtri par son expérience des tranchées et de la boucherie guerrière. Le tableau familial n’est pas idyllique pour autant. A la grande pauvreté du foyer, s’ajoutent les violences répétées du père, alcoolique, sur la mère d’Anton. Beaucoup de sources répètent qu’il a commencé sa carrière à l’Eintracht en 1929. Parti sur les traces du joueur, Denis Roux – qui lui a consacré une biographie – observe que c’est en réalité au FC Union Niederrad, un des trois principaux clubs de Francfort, qu’il fait ses premiers pas de footballeur et a été reconnu comme un espoir talentueux.

Communiste et résistant anti-nazi

Il travaille en parallèle comme maçon sur les chantiers et, influencé par son oncle, adhère en 1931 au KPD, le Parti Communiste d’Allemagne. A cette époque les combats de rue avec les nazis sont souvent violents. L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 va accélérer les persécutions contre les communistes. Le KPD est rapidement interdit et ses principaux dirigeants, dont Ernst Thälmann, sont incarcérés. Le parti entre alors dans la clandestinité et nombre de ses militants vont être envoyés dans les premiers camps de concentration. Entre 1933 et 1935, ils sont plusieurs milliers à être arrêtés par la Gestapo et condamnés. Parmi eux, Anton Rabb qui a commencé à prendre plus de responsabilités au sein du KPD clandestin. Arrêté et torturé en avril 1935, il a été condamné sept mois plus tard à trois et demi de prison pour “haute trahison”.

Une des rares photos d’Anton Raab avec le Stade Rennais (debout et troisième en partant de la droite), prise à l’occasion du match face à l’Elektromos de Budapest.  (©Gallica/BNF)

Après deux années à croupir dans les geôles nazies, il parvient à s’évader en 1937 et à passer la frontière française. A une époque où il ne fait pas bon être allemand, et où être communiste est toujours un peu suspect, il doit trouver des appuis. Le football va l’aider. Par instinct de survie et peut-être par goût pour les récits épiques, il raconte les pérégrinations expliquant sa présence: son évasion à la Monte Cristo de la forteresse de Kassel, son refus d’effectuer le salut hitlérien protocolaire avant un match international devant 45000 personnes. Par bribes, il brode sa légende. « C’était un raconteur d’histoire et dans ses récits, il y a parfois de “la Grande vadrouille”», reconnait Denis Roux auprès du site “La Maison Jaune”.

Toujours est-il qu’il sort de son incarcération très amoindri physiquement et délesté d’une quinzaine de kilos. En France, il s’installe rapidement dans la capitale où il reprend son activité de footballeur en signant au CA Paris, alors en D2. Plutôt destiné à l’équipe réserve, il joue quand même quelque matchs en première ne laissant pas insensibles les journalistes parisiens. Suite à une tournée amicale dans l’ouest, il est remarqué par les dirigeants de l’équipe amateur de la Saint-Pierre de Nantes qu’il rejoindra en 1938 en échange d’un poste de dessinateur au sein de l’entreprise de travaux publics Dodin. Il semble avoir retrouvé ses sensations de footballeur de haut-niveau. Sur le site internet “Treillières au fil du temps” qui lui consacre un portrait détaillé, on peut lire que « l’homme impressionne par ses qualités athlétiques, l’intelligence de son jeu et ses qualités humaines qui le font apprécier de tous

Passage éclair au Stade Rennais

Dans la foulée de son installation à Nantes, il devient une pièce maîtresse de la sélection régionale de Loire-Inférieure. Sa condition d’étranger dans le contexte de guerre imminente ne lui permet pas de conserver son emploi dans la Cité des Ducs. Il part à une centaine de kilomètres au nord, direction Rennes pour s’engager au Stade Rennais Université Club qui remonte en D1. Il joue son premier match amical avec le SRUC, le 12 juin 1939 face au FC Rouen. La presse de l’époque n’est pas tendre avec lui. A travers l’Ouest-Eclair, la presse réactionnaire locale ne prend pas de gants. Le journaliste le juge « pas à son aise » quand il ne le qualifie pas de « lymphatique ». On le retrouve encore deux mois plus tard, à l’occasion d’un match de préparation au Parc des Sports face à l’Elektromos Budapest, puis un autre face à St-Nazaire.

Mémoires Canaris)

Lors du match perdu 3-2 face à l’équipe hongroise, Raab joue une mi-temps au poste d’arrière et montre selon la presse des qualités ayant besoin d’être affinées. « C’est encore un peu un novice, mais un novice qui a des dispositions naturelles pour devenir un maître », lit-on dans le compte-rendu du match. Victime de la décision des autorités françaises d’interner les réfugiés allemands et autrichiens au camp de Meslay-du-Maine en Mayenne, le “novice” en question a déjà 26 ans et va être à nouveau contraint de plier les gaules, sans avoir joué le moindre match officiel en rouge et noir. Il reviendra clandestinement à Nantes, chez sa fiancée. Il se livrera alors à une activité de propagande visant à atteindre le moral des soldats allemands, à base de tracts signés d’un “Comité Révolutionnaire des soldats allemands” dont il est l’unique membre.

Et si on donnait le nom d’Anton Raab au Stade Marcel-Saupin?

Le FC Nantes va voir le jour en 1943, créé par Marcel Saupin et Jean Le Guillou, des collaborateurs notoires. Une tâche qui colle toujours à la peau du club. A la mort de Saupin en 1963, la municipalité ira même jusqu’à donner son nom au stade. Le FC Nantes y jouera jusqu’en 1984 avant son déménagement à la Beaujoire. Mais le Stade Marcel-Saupin est toujours debout et héberge aujourd’hui les rencontres de la réserve et des féminines. L’Histoire est parfois traversée de paradoxes et l’entente entre Raab et Saupin, qui l’a nommé entraîneur-joueur du FC Nantes à la Libération, en est un. De 1946 à 1949, il dirigera l’équipe 136 fois avant de partir à Couëron et de revenir à Nantes une saison en 1955. Au début des années 60, Anton Raab est le principal conseiller du président Clerfeuille. Il perdra son bras de fer avec José Arribas, dont il critique le style et n’apprécie pas la philosophie footballistique.

La suite de l’histoire donnera raison au technicien à l’origine du “jeu à la nantaise”. Poussé vers la sortie, Rabb quitte définitivement le monde du football professionnel dans les années 60. Il ouvrira plus tard sa boutique de sports dans le centre-ville de Nantes. C’est dans sa ville d’adoption qu’il s’est éteint le 10 décembre 2006, à l’âge de 93 ans et bien avant que son engagement anti-nazi ne soit officiellement reconnu en Allemagne. Ce n’est qu’en 2022 qu’une “stolperstein” commémorative a été posée devant le domicile qu’il occupait dans le quartier de Niederrad à Francfort avant son arrestation en 1935. On attend maintenant que la municipalité et le club nantais rebaptisent le Stade Marcel-Saupin du nom d’Anton-Rabb. Il n’est jamais trop tard.

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