Football du peuple Montpellier: “Chez nous, c’est l’action collective qui fait la beauté du but”

Complètement autogéré, le Football du peuple de Montpellier a bien grandi depuis les premières passes effectuées en 2013. Nous avons rencontré Mathieu, Victor et Morgan avec qui, pendant une heure, on a causé des valeurs de solidarité concrètes portées par le club. Rapport au foot traditionnel, centralité de la passe et du plaisir, réappropriation populaire du stade du Père Prévost, avec le Football du peuple parler ballon prend un autre relief.

Comment est apparu le Football du peuple et cette envie de créer un espace pour un football politisé à l’extrême-gauche ?

Mathieu : A l’origine, on était deux militants syndiqués à Sud Étudiant à la fac de Paul Valéry à Montpellier, donc dans un premier temps ça se passait surtout autour du milieu étudiant, sans volonté de s’y cantonner pour autant. Moi, je jouais encore en club à Saint-Gély. Puis, il y a eu un mouvement social. C’est devenu compliqué à concilier la lutte avec les trois entraînements par semaine. Alors j’ai arrêté le foot en club. Et l’autre copain – qui s’appelle Mathieu aussi – avait créé une page Facebook qui s’appelait « Football du peuple », mais qui sonnait plus comme une blague à ce moment-là. Et de temps en temps, ils jouaient au foot entre militants syndicaux, gauchistes etc. Lui, revenait d’Athènes où il avait participé à des tournois organisés par les antifascistes athéniens, avec l’envie de développer ce type d’initiative sur Montpellier. On s’est dit qu’on pourrait être plus ambitieux, ne pas rester qu’entre militants syndicaux et proposer un football politique à d’autres gens qui pourraient jouer avec nous. L’antifascisme n’est pas qu’une affaire de posture, c’est aussi de proposer une alternative avec des centres sociaux antifascistes, un football antifasciste etc. Un peu comme à Athènes. C’est important de montrer que ce n’est pas que de la parole, et de permettre à des gens de mettre les pieds dans l’antifascisme par le biais du football. Alors on a commencé à réfléchir à tout ça : l’importance de la passe, de ne pas compter les buts, le football comme vecteur de politisation etc.

Morgan : Ce que j’ai découvert aussi, c’est cette réappropriation du football par des gens d’extrême-gauche ou anarchistes. Alors que c’est plutôt mal vu dans ces milieux-là, on peut tout à fait jouer au foot avec ces idées-là.

Mathieu : Là aujourd’hui, à quarante, on arrive un peu au maximum de nos capacités d’accueil. Le terrain n’est pas extensible. Puis, on se rend compte qu’il faut veiller à ce que le développement numérique du Football du peuple ne se fasse pas au détriment de ses fondements politiques. Il y a peut-être une réflexion de fond à avoir pour travailler plus qualitativement avec un groupe limité en nombre. En réalité, les gens qui viennent sont simplement contents de pouvoir jouer au foot. Beaucoup, notamment parmi les réfugiés, ne peuvent le faire nulle part ailleurs. Peu viennent pour le côté politique ou pour « jouer au foot différemment », ils ont d’autres problématiques de vie.

Dans le football d’aujourd’hui, les tribunes sont aussi parfois considérées comme un espace de contestation. Vous entretenez des liens avec le mouvement ultras ?

Mathieu : Parmi le noyau dur du Football du peuple quasiment personne ne fréquente les tribunes. Mais il y a des participants parfois, quand ils me disent « je ne serai pas là dimanche », je sais qu’ils vont à la Mosson. Ils sont peu nombreux. On a quand même quelques contacts avec des ultras montpelliérains mais pour le moment ça n’a pas donné suite. On n’a pas vraiment de stratégie à ce niveau-là, mais ce serait une bonne idée. La gauche ne se réapproprie pas le foot, alors qu’elle devrait le faire. Au delà des ultras, on entretient des liens avec la Boxe populaire de Saint-Etienne ou encore le Spartak Lillois.

Victor : Via facebook, on entretient des liens avec le MFC1871 de Ménilmontant. On a aussi des liens avec des clubs populaires en Espagne qui nous ont filé plein de maillots. Ou encore avec le collectif de La Lokomotora qui a produit nos maillots.

Vous prônez un football aux antipodes du football traditionnel, avec un format calqué sur vos valeurs politiques. Que pouvez-vous nous en dire?

Mathieu : En fait, on ne joue pas au foot, c’est autre chose, ne serait-ce que sportivement. On ne fait pas le même sport. Déjà, on divise le terrain en quatre. Le placement est différent, il n’y a pas de tirs, il n’y a pas de duels, pas d’épaule contre épaule avec un ballon envoyé en profondeur. C’est plus du Five en fait. Généralement quand on est en un contre un, on ne dribble pas, on cherche la solution auprès d’un autre. Et puis quand quelqu’un a la balle dans les pieds, au Foot du peuple il y a une sorte de distance de sécurité qui se met, personne ne vient te chercher le ballon dans les chevilles. On va plutôt tenter les interceptions. Mais un mec qui vient et qui veut se la jouer tricoteur, il se régale, donc il faut lui faire comprendre que ce n’est pas l’état d’esprit de vouloir écraser les autres. Quitte à hausser le niveau de défense et mettre deux trois taquets, car on sait le faire. Mais c’est quand même rare. Il y a trois quatre ans, on avait essayé d’autres formats. Un jour on était une vingtaine, les joueurs ont voulu faire un onze contre onze. C’est simple, ça fait une balle pour 22. On voit la différence. Quand on joue en mode Five, ça fait une balle pour 10. La balle est plus partagée.

Victor : A chaque début de rencontre, on rappelle nos valeurs et ce qu’on attend sur le terrain en terme d’attitude et d’état d’esprit. On accorde de l’importance à l’aspect pédagogique et la déconstruction de ce football physique basé sur l’impact. Nous, on ne compte pas les buts. On insiste là-dessus. On met deux plots, et il n’y a pas de gardien. On privilégie la passe. On est là pour intégrer tout le monde, quelque soit le niveau. Le foot de compétition, sprinter, marquer des buts, tout ça, ça ne m’intéresse pas. Moi, je prend un but, j’m’en fous, j’applaudis l’adversaire. L’idée c’est de s’amuser tous ensemble. Après, ceux qui viennent « consommer » du foot, ils consomment du foot, ce n’est pas grave.

Morgan : Ce n’est pas évident de « dé-footballiser » les esprits. Au début, certains se disent que ce n’est pas vraiment du foot, ou ont du mal avec le principe de ne pas compter les buts. Il y a un petit choc culturel. Normal, quand tu as joué à ce foot-là depuis tout petit. C’est pareil pour tout le monde. Mais aujourd’hui, les gens sont plus facilement convaincus par ce format plutôt que par le onze contre onze traditionnel et ses transversales fantasmées.

Mathieu: Toute notre vie on compte. On compte à la caisse, on compte partout. Quand je joue au foot, j’aimerais juste ne pas avoir à compter. Ou alors simplement compter mon plaisir.

Au fil du temps Le Football du peuple est devenu un espace privilégié de solidarité avec les réfugiés. Comment ce lien s’est fait?

Mathieu : En 2013, la question de la solidarité avec les réfugiés n’était pas encore si présente. On en entendait beaucoup plus parler en Grèce, mais pas encore autant ici. On va dire que vers 2015, ça a pris une toute autre ampleur. De notre côté, on s’est rapproché des divers collectifs de solidarité pour leur parler de notre existence et leur proposer de venir. On a aussi organisé des tournois, sans compétition, presque comme ce qu’on organise chaque dimanche. C’était l’occasion de faire de la com’ autour de l’événement et de faire connaître le Football du peuple. On faisait pas mal ça au début. Pour le deuxième tournoi qu’on a fait, on a invité tous les collectifs de lutte et de solidarité aux sans-papiers de Montpellier. On en a fait d’autres avec le Réseau Université Sans Frontières (RUSF). Après ça s’est aussi beaucoup fait par le bouche à oreille, ou encore parce que certains de nos membres étaient investis dans des collectifs comme Migrants Bienvenue 34 et faisaient le lien. L’idée aussi c’était de créer du lien entre des réfugiés pris en charge par des assos différentes et de leur permettre de se rencontrer sur le terrain. Ces assos, comme la Cimade, sont contentes de voir qu’on existe, ça leur donne une nouvelle activité vers laquelle orienter les réfugiés dont ils s’occupent. Grâce au foot, des réseaux de solidarité se sont mis en place et ont permis de trouver des hébergements durables à certains copains réfugiés qui étaient à la rue. Après, j’insiste sur ce point mais on est un collectif de foot autrement et non pas une association de football pour les réfugiés.

Victor : Se retrouver le dimanche pour jouer au foot permet aux réfugiés d’oublier un temps leur quotidien difficile, mais aussi de sortir un peu de l’entre-soi communautaire. Même s’ils ne s’impliquent pas nécessairement sur le plan politique, ça leur permet d’élargir leur tissu de relations dans la ville. On essaye d’aller à contre-courant des réflexes communautaires. On joue tous ensemble, pas seulement avec ceux dont on partage la langue, la culture ou la nationalité d’origine. On se mélange tous. D’ailleurs les rares fois où les équipes ont été composées par communautés, ça s’est moins bien passé. Ça renforçait plus la rivalité qu’autre chose.

Parlez-nous un peu de l’endroit où vous jouez, le stade du Père Prévost qui a aussi une histoire.

Mathieu : Au début on ne jouait pas là-bas, mais plutôt dans le nord de la ville, dans un endroit assez mal desservi. Parmi nos réflexions, il y avait déjà cette question de l’accès au football, pour les étudiants ou les couches populaires. A Montpellier, il n’y a pas un endroit où tu peux jouer au foot sans te faire emmerder. La plupart des stades FFF sont fermés. Un jour, on a entendu parler du collectif des « vrais amis du Père Prévost » qui luttait, sur une ligne très citoyenniste pour la sauvegarde d’un stade menacé de destruction par un projet immobilier. C’était juste avant les élections municipales de 2014. Dans le collectif, il y avait des gens qui étaient sur la liste de Philippe Saurel, l’actuel maire. Au passage, ne pas faire construire sur l’emplacement du stade est une des rares promesses qu’il ait tenu. Pour notre part, on découvrait l’existence de ce stade quasiment en centre-ville, bordant le quartier des Beaux-Arts. Nous y sommes d’abord allés sur une base de réappropriation populaire d’un bien public. La première a eu lieu en 2014. C’est pour ça d’ailleurs que nos premiers tournois étaient des journées d’occupation. Maintenant on l’occupe chaque dimanche. On n’a pas vraiment de liens avec les « vrais amis du Père Prévost ». L’idéal serait d’y avoir un local fermé pour y entreposer notre matériel ou au moins des bancs pour s’asseoir. A côté, il y avait un terrain en friche où le collectif Garden Blitz a installé un jardin dont le premier coup de pioche a été donné lors d’une de nos journées d’occupation. Ce jardin a perduré aussi avec la complicité de gens du voisinage qui venaient même jardiner le dimanche et donc avec qui on a aussi commencé à avoir des liens. Quand Luttopia002, un squat de Montpellier a été expulsé, plusieurs occupants ont installé une sorte de bidonville sur ce terrain à côté du jardin. En 2016, la mairie a décidé de tout raser laissant des monticules de terre à la place.

Victor : Quand tu regardes les photos du stade, tu vois des immeubles partout autour. C’est vraiment le seul îlot de sport populaire. Il y a des parents qui viennent jouer au foot avec leurs gamins. Des Pakistanais qui jouent au cricket le dimanche. Ce stade est occupé par différents sports et plusieurs personnes.

Pour finir, quelques mots sur le slogan « Le plus beau but est une passe » qu’on peut lire sur votre maillot.

Mathieu : Le slogan, on ne sait pas trop comment on en est venu à le mettre sur le maillot, mais c’est sûr qu’on essaye de s’inscrire dans ce courant d’un football politisé, à l’image de ce qu’on diffuse sur notre page Facebook. On se reconnaît dans le parallèle que faisait Bill Shankly, ancien entraîneur de Liverpool, entre le football et le socialisme : « il faut que chacun soit prêt à travailler pour l’autre et que chacun retire les bénéfices de l’action commune ». Dans le football d’aujourd’hui c’est de moins en moins vrai. Quand une équipe gagne, on va avoir tendance à dire que c’est grâce à tel joueur.

Morgan : C’est aussi induit par le fait qu’on joue avec des petits buts. On n’a pas trop le choix de toutes façons. Des fois, les nouveaux ont un peu ce réflexe de tirer du milieu du terrain quand ils voient le but vide. Il n’y a pas eu de jeu ni de passe. Alors là, on lui explique que l’idée c’est plus de construire une action collective, du jeu en triangle. Il n’y a pas de lucarne ou de choses comme ça qui rendent un but magnifique. Pousser la balle entre deux plots espacés d’un mètre, ce n’est pas ce qu’on retient. Chez nous, c’est l’action collective qui fait la beauté du but.

Pour participer au Football du peuple, rendez-vous tous les dimanches à 15h au stade du Père Prévost, 195 rue du Jeu de Mail des Abbès à Montpellier.

 

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