Décret sur les fumigènes dans les stades: un effet d’annonce plus qu’une avancée

Les Ultramarines Bordeaux 87, en 2015. (©DAVID Thierry / Sud Ouest)

Régulièrement ciblé par les sanctions des instances, l’usage de fumigènes dans les stades va entrer dans une période expérimentale de trois ans… sous de multiples conditions. Néanmoins, cet encadrement très très resserré est-il toujours dans l’esprit festif de cet outil d’animation?

Publié le 29 mars dernier au Journal Officiel, un décret ouvre la porte pour trois ans à l’usage d’engins pyrotechniques dans les stades et fixe les conditions et le cadre rigide de cette expérimentation appelée à durer jusqu’au 3 mars 2025. Il y est précisé par exemple que seuls sont autorisés les pots à fumée, stroboscopes et torches à main et dans des proportions limitées à 35 kilos. Mais les intentions limitatives de ce décret ne s’arrêtent pas là. Il y est aussi question que les craquages de torches aient strictement lieu dans une «zone réservée» et déterminée à l’avance, le tout placé «sous le contrôle direct d’une personne titulaire d’un certificat de qualification au moins de niveau 1 […] chargée de veiller au bon déroulement de l’animation, conformément aux règles de sécurité en vigueur

«Rien de nouveau»

Certains médias parlent même d’une «petite révolution», et pourtant on ne s’aventurera pas sur cette voie brumeuse. Pour le Red Kaos 94, groupe ultra de Grenoble, on est ni plus ni moins face à ce type d’effet d’annonce dont la communication gouvernementale raffole. «Le décret qui vient d’être publié encadre les expérimentations, mises en place il y a déjà un an et pour encore une durée de deux ans. Rien de nouveau, donc ». Aucune “légalisation” en vue, encore moins un assouplissement de la répression en vigueur pour les craquages habituels. Sanctions financières et fermetures de tribunes vont continuer à pleuvoir sur ceux qui passeront outre les conditions contraignantes à remplir pour obtenir le droit d’organiser une animation pyrotechnique.

Pourquoi alors quelques réactions euphoriques surprenantes ont-elles accompagné l’annonce de ce décret? Que change-t-il concrètement? Pas grand chose. Préconisé dans le rapport Houlié/Buffet de mai 2020 et axe de travail de l’Instance Nationale du Supportérisme (INS), l’usage « à titre expérimental et pour une durée de trois ans » d’engins pyrotechniques est en effet déjà inscrit dans l’article 54 de la “Loi Sport” de mars 2022. Avant cela, on avait aussi déjà assisté à quelques uns de ces craquages de torches “encadrés” comme à Toulouse, donnant un avant-goût de ce qui ressemble à une farce, à mille lieues de l’esprit festif et libre qui enveloppe cette pratique. Pour être dans les clous du décret, le groupe doit fournir les identités des personnes amenées à manipuler les engins pyrotechniques, détailler le matériel utilisé et obtenir un triple accord, de la LFP, de la préfecture et du club.

No Pyro, No Party

«Après les arrêtés préfectoraux à déchiffrer pour les déplacements, les dossiers pour encadrer la ferveur… les membres de groupes organisés doivent se transformer en agents administratifs pour supporter leur équipe. On a connu plus festif!», poursuit le communiqué du Red Kaos 94. Mais les autorités, dans leur objectif d’en finir avec l’utilisation «illégale» des fumigènes, pensent avoir un argument-massue: la sécurité. Si elles répriment les supporters, c’est pour leur bien. Autant dire qu’il faut un sacré niveau de culot. Le rapport Houlié/Buffet rappelait ce que tous les supporters savent déjà: la grande majorité des blessés résultent justement de l’interdiction des fumigènes qui les contraint à prendre des risques pour les allumer « en se dissimulant notamment sous des bâches qui ne sont pas ignifugées ».

Entre communication et semblant de compromis, la piste d’un “usage encadré” est ainsi présentée depuis de longs mois comme une résolution partielle du conflit entre autorités et supporters. Ou du moins comme un point de dialogue. Mais on cherche encore en quoi il s’agirait d’une avancée. Tout en respectant la position des autres groupes, le Red Kaos 94 est un des rares à se distinguer en affirmant qu’il ne participera pas à ce type d’expérimentation et met en garde contre ce qui pourrait être un leurre justifiant «une sévérité toujours plus grande à l’égard d’une utilisation spontanée des fumigènes.» La meilleure manière de progresser sur cette question de l’usage des fumigènes n’est-elle pas de les autoriser sans condition ni contrainte?

Édito n°60

 

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