Trois rencontres ont été décalées en semaine sur ordre des préfets, cette fois-ci au motif du G7 de Biarritz. En 25 ans, la criminalisation du supportérisme s’est banalisée. Complémentaire de celle des instances et de la justice, la répression administrative, organisée par les préfets, participe au “nettoyage” progressif de la passion qui entoure les matchs de football. Elle est aussi utilisée comme modèle méthodologique pour l’étendre au reste de la société, dans un contexte où la domination de l’état policier se dévoile de plus en plus.
Depuis 1993 et la loi Alliot-Marie, les supporters de football n’ont cessé d’être la cible de mesures répressives et de voir leurs libertés se réduire. Ce qui est considéré comme la première loi « anti-hooligans » a créé la sanction pénale d’interdiction de stade (IDS), délivrée par un juge en complément d’une condamnation. Cette mesure est une variante inspirée du Football Banning Order (FBO) ou encore du Divieto di accesso alle manifestazioni sportive (DASPO), mesures d’interdictions de stade en vigueur en Grande-Bretagne et en Italie. Elle répondait alors aux préconisations du Conseil de l’Europe en matière de répression des supporters, dans un contexte où la France venait depuis quelques mois d’obtenir l’organisation du Mondial 98.
Régulièrement dénoncée par les ultras, l’IDS reste plus de dix ans la principale mesure répressive visant les supporters. Mais les choses vont subitement s’accélérer et la répression prendre une nouvelle tournure avec la loi antiterroriste de 2006 qui, comme chaque nouvelle loi sécuritaire, élargit les prérogatives administratives c’est à dire ministérielles et préfectorales. Le mythe républicain bourgeois d’une indépendance du pouvoir judiciaire prend chaque fois un peu plus de plomb dans l’aile, au grand dam de ceux qui croient toujours dur comme fer “en la Justice de leur pays”. Comment les supporters peuvent se retrouver dans une loi antiterroriste ? Un cavalier législatif – amendement glissé sans qu’il y ait de réel rapport – introduit dans cette loi de 2006 les interdictions administratives de stade (IAS) qui permettent aux préfets de police de notifier des interdictions de stade, sans autre forme de procès, pour une durée maximum de deux ans. En plus de la répression judiciaire déjà en place, s’instaure une répression préfectorale parallèle avec une part d’arbitraire beaucoup plus importante.
Des mesures individuelles aux interdictions collectives de déplacement
Assez vite, les IAS s’avèrent plus nombreuses que les IDS qui ne représentent plus qu’un tiers des interdictions de stade. Il faut dire qu’en terme de procédures, ça fait de sacrés économies. Pas de procès, pas de débat contradictoire, juste une décision administrative menant sensiblement au même résultat: tenir éloignés des tribunes des supporters supposés turbulents. Depuis 2007, tous les interdits de stade, IDS comme IAS, sont inscrits dans le Fichier National des Interdits de Stade (FNIS), créé par décret ministériel. Encore une fois, le fichage des supporters était déjà pratiqué en Italie et en Grande-Bretagne, les deux pays qui ont façonné la répression du supportérisme. Tout cet arsenal répressif conduit les associations à protester contre ce qu’ils estiment être des mesures d’exception, traitant les supporters en « sous-citoyens ». Elles alertent alors sur les risques d’extension de ces dispositifs liberticides au reste de la société, le monde des ultras ne servant que de “laboratoire”. C’est un modèle tellement rodé qu’il a même servi d’exemple à suivre pour la loi dite « anti-casseurs » de mars 2019, pondue à la hâte pour réprimer le mouvement des Gilets Jaunes.
Mais l’arsenal répressif ne serait pas complet s’il se contentait de mesures individuelles. C’est à la faveur d’une nouvelle loi sécuritaire, la LOPPSI 2 adoptée en 2011, que les préfets vont se voir octroyer le pouvoir d’encadrer, restreindre et interdire les déplacements collectifs de supporters. Présentée à l’origine comme une mesure exceptionnelle, force est de constater que huit ans plus tard les préfets en ont un usage complètement débridé. La saison 2015/16, prise dans le tourbillon de l’état d’urgence, instauré suite aux attentats de novembre 2015 et prorogé six fois, est celle où les arrêtés ont été le plus nombreux. En octobre 2017, les dispositions de l’état d’urgence deviennent permanentes dans le cadre de la loi sur la sécurité publique qui assoit toujours un peu plus la domination policière.
Une absurdité administrative assumée
Depuis 2011, on doit avoisiner les 600 arrêtés préfectoraux interdisant ou restreignant les déplacements de supporters. De toute évidence, malgré les tentatives de dialogue entre la LFP, l’Association Nationale des Supporters (ANS) et les préfets, la répression se systématise. Que les “violences” soient finalement très rares et relatives est vraiment secondaire. L’intérêt de cet arsenal est d’imposer l’autorité de l’état et de mettre une pression policière sur les groupes de supporters. Récemment un cap a été franchi avec l’arrêté interdisant aux supporters niçois de sortir de leur département. L’arrêté préfectoral est alors utilisé comme une arme quasi imparable et difficilement contestable. Tout comme les reports de matchs en semaine, imposés à la LFP mais surtout aux supporters pour qui les conséquences sont grandes, y compris à domicile. Au début du mouvement des Gilets Jaunes, la LFP s’est d’ailleurs montrée bienveillante avec les reports de matchs pour des questions “d’ordre publique”. Même cette manie de décaler les matchs irriterait, à présent, au sommet des instances. Mais ça ne change rien. Engagée elle aussi, à travers sa commission de discipline, dans la répression des ultras sur la question des fumigènes, des banderoles et des chants, la LFP a quand même donné des gages aux préfets en accompagnant sa mesure d’uniformisation du tarif visiteurs d’une limitation à 1000 du nombre de supporters en déplacement. Encore faut-il que les préfets les autorisent, car aujourd’hui ce sont eux qui ont le dernier mot et ils le rappellent chaque week-end à qui l’oublierait.
Et en ce début de saison 2019/20, les arrêtés ont repris sur un rythme frénétique. Le repos des forces de l’ordre figure parmi les justifications le plus souvent avancées. Des arguments qui ne valent rien pour Pierre Barthélémy, avocat de l’ANS, qui en souligne les limites sachant que faire respecter un arrêté demande parfois plus de police qu’encadrer un match où le déplacement aurait été autorisé. Certains autres motifs invoqués, comme une braderie, la Saint-Patrick ou encore les soldes, sont encore plus farfelus. Au point d’en devenir presque provocateurs. Mais la répression administrative est d’autant plus sérieuse qu’elle assume parfaitement son absurdité. Le comble étant atteint quand elle justifie un arrêté d’encadrement de déplacement par l’énervement probable provoqué par un précédent arrêté. Quand des arrêtés passés motivent les arrêtés présents ou futurs, les conditions pour à terme interdire tous les déplacements sont réunies. La prochaine étape, c’est de ne plus donner de motif. D’une certaine manière ce sera moins hypocrite.
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