Sorti en mars 2018 aux éditions La Découverte, Une histoire populaire du football s’attache à dépasser les résumés simplistes des tenants d’une histoire absolument a-critique, comme de ceux visant à réduire le football à sa facette spectaculaire et hégémonique du “foot-business”. Esquivant ce faux clivage, Mickaël Correia – journaliste indépendant qu’on peut lire dans le mensuel CQFD et la revue Jef Klak – nous présente un autre récit.
C’est le genre de bouquin qui était probablement attendu par toute une petite galaxie s’agitant autour de blogs, de webzines ou autres sites internet qui aiment à traiter du sport, de son actualité et de son histoire, avec les outils de la critique sociale. D’autant que parmi les “gauchistes” – pour aller vite – le sport compétitif n’a généralement pas bonne presse. Le sport moderne, et plus encore le football, reste une cible régulière pour diverses franges intellectuelles de la gauche radicale, y percevant l’incarnation des valeurs véhiculée par le capitalisme1. Sans feindre d’ignorer cette critique fondée, avec son Histoire populaire du football organisée en parties thématiques, Mickaël Correia, nous présente un monde du football – des terrains aux tribunes – vecteur de sociabilité de classe, de contestation et de résistance. Contre les régimes dictatoriaux ou le colonialisme d’une part, contre la hiérarchie et les laquais d’un football libéral d’autre part.
Notons que l’étude historique sérieuse du football est une discipline récente apparue près de 120 ans après sa naissance officielle à la Freemason’s Tavern, et qu’elle est principalement l’apanage d’universitaires. Les premiers travaux datent des années 80, outre-Manche avec Tony Mason, puis un peu plus tard en France avec Alfred Wahl comme pionniers. Le livre de Mickaël Correia ne porte pas le label académique, mais ne s’en inscrit pas moins dans les pas de ces illustres historiens précurseurs, ainsi que dans ceux des sociologues du sport de “l’école de Leicester”, comme Eric Dunning. On retrouve cette dernière influence entre autre dans la partie dédiée au hooliganisme anglais.
Le grand intérêt du livre réside aussi dans le choix singulier de l’approche d’une histoire du football écrite “par en-bas”. L’histoire “par en-bas” (history from below) est un courant dont les auteurs les plus emblématiques sont les marxistes anglo-saxons, Edward P. Thompson, Christopher Hill, Howard Zinn, ou encore Marcus Rediker2 pour qui « ce n’est pas seulement l’histoire des pauvres ou bien des classes laborieuses en général, mais également celle de leur capacité d’agir, c’est-à-dire de leur capacité à affecter le cours de l’histoire, pas seulement comme des instances passives du processus historique. »
Raconter cette histoire par en-bas n’est pas chose aisée tant les débuts du football en tant que sport codifié à la mi-temps du 19e siècle (avec les règles de Cambridge en 1848) est une pratique qui ne concerna longtemps que les seuls rejetons de l’élite sociale britannique et qui mit quelques décennies à gagner le prolétariat (aux alentours de 1880). Hors de Grande-Bretagne, cette “démocratisation” mit encore quelques décennies de plus. Comme en France, où le football ne débarque réellement au sein de classe ouvrière qu’au sortir de la boucherie de la 1ere Guerre mondiale avec l’obtention du congé du week-end qui apporte aux ouvriers un temps libre nouveau le samedi après-midi. Les patronages cléricaux et le patronat industriel dans le cadre de ses “œuvres sociales” vont s’en disputer l’encadrement. Parallèlement, dans le girons de la S.F.I.O et du jeune Parti Communiste, le sport travailliste3 – qui fait partie intégrante de la vie et de la sociabilité ouvrières – incarne la principale opposition au sport bourgeois ou réactionnaire.
Bien sûr, la copie peut s’exposer à quelques critiques périphériques4. Il est dommage par exemple que la condition matérielle des footballeurs à travers l’histoire – que ce soit au niveau salarial, contractuel ou encore au niveau de la formation – n’ait pas été plus fouillée. C’est le principal manque selon nous. La difficulté d’aborder ce point tient probablement à la très grande disparité des situations selon les endroits du globe. Mais qui veut creuser ce point trouvera dans Une histoire populaire du football de très bons appuis. Les multiples sources et une bibliographie exhaustive apportent de la matière pour enrichir sa compréhension et ouvrent une porte dans laquelle il ne faut pas hésiter à s’engouffrer.
On découvre surtout au fil de la lecture de cet objet inédit et réjouissant des anecdotes passionnantes sur les premiers supporters du Spartak Moscou qui, sous Staline, expérimentèrent les poussées collectives pour pénétrer dans les stades sans payer. Mais aussi l’importance prise par le football féminin, au pied des chaînes de montage des usines d’armement, avec les équipes de “Munitionnettes”, ces ouvrières britanniques mobilisées dans le cadre de l’effort de guerre. Ou encore un passage détaillé sur les Ultras Ahlawy (UA-07) en Égypte et leur rôle dans la chute du régime de Moubarak lors du Printemps arabe. Il y a bien d’autres événements mis en avant par Mickaël Correia comme autant de poches de résistance, du football travailliste au Mouvement Football Progrès (1975-1978) ou encore les navetanes de Dakar, en passant par les initiatives d’actionnariat populaire. Malheureusement, ces poches de résistance sont guettées par l’institutionnalisation et finissent souvent par être vaincues ou récupérées.
Ce n’est pas anodin si le street foot, dont on retrouve des variantes dans bien des pays, ponctue l’ouvrage. Un football de rue qui ne coûte rien, si ce n’est le prix d’un ballon, et qui repose sur le plaisir simple de jouer avec ses potes. Ce football emprunt de camaraderie, pratiqué « en marge du cadre institutionnel », compte plusieurs centaines de milliers d’adeptes en France, principalement dans les cités et quartiers prolétaires. Entre un détournement de l’urbanisme sécuritaire et une réinvention du football comme réel jeu, le street foot fait office de dernier îlot pirate que le football capitaliste ne saurait reprendre. Même si l’histoire du football nous incite à jouer la carte de la prudence.
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Notes:
1Influencée par le freudo-marxisme de Wilhelm Reich, la Théorie critique du sport, dont la principale figure est Jean-Marie Brohm, analyse le sport comme un « sous-système capitaliste ». La revue Quel sport ? est le principal outil de réflexion et de diffusion de cette théorie. 2Entretien avec Jérôme Skalski, 26 mai 2017, à lire sur le site de L'Humanité 3Jusqu'en 1936 à l'aube du Front Populaire dans un contexte de prise de pouvoir par les partis fasciste italien et nazi allemand, le sport travailliste comptait deux fédération omnisports rivales : l'USSGT socialiste (fondée en 1924) et la FST communiste (fondée en 1919). 4A titre d'exemple, la présentation du Barça évoque à juste titre un club porte-drapeau du catalanisme et le Camp Nou comme un "refuge de l'anti-franquisme", en mettant malheureusement de côté ce qui préfigure alors déjà son rôle d'instrument la bourgeoisie catalane tel qu'il existe aujourd'hui.
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