Le football populaire fait son bout de chemin

Banderole de l'Atletico San Lorenzo de Rome. "Le vrai football, c'est nous qui le jouons".

Le football populaire ne vient pas de nulle part. Son apparition et son développement s’inscrivent dans le contexte d’un foot business dont beaucoup de supporters ne veulent plus du tout parce qu’il a volé leur passion. Alors certains en sont arrivés à créer des clubs à l’image de ce qu’ils espèrent du football. Attachement à l’histoire, localisme, propriété collective et gestion démocratique. Voilà qui pourrait résumer le football populaire qui n’est malgré tout pas homogène. Présentation.

« Against Modern Football » est un slogan ralliant de plus en plus de monde, des tribunes aux terrains. Le développement de clubs dits de football populaire est une des expressions de ce rejet du « football moderne ». Créés par des passionnés, ces différents clubs vont se poser autant comme une alternative que comme une antithèse du football moderne et de son business.

De celui, basé sur l’actionnariat populaire, revendiquant l’héritage et l’histoire d’un club disparu pour faillite ou racheté par un milliardaire hors-sol, à celui autofinancé et créé de toute pièce à l’échelle d’un quartier, on voit que ces clubs peuvent recouvrir différentes réalités. Malgré les particularités, des principes intangibles traversent le football populaire : fonctionnement horizontal sur le modèle « un membre, une voix », gestion transparente et ancrage local. Certains se démarquent aussi par un fort engagement social et militant au sein de leur quartier.

Des “supporters’ trusts” aux “protest clubs”

Berceau du football, de son industrie et de sa restructuration, il n’est pas illogique que l’Angleterre soit aussi le berceau des résistances. Entre l’apparition du Northampton Town Supporters Trust en 1992 et la naissance des premiers « Protest Clubs », la contestation du football business va se structurer. Toute cette période est bien documentée dans le livre Punk Football de Jim Keoghan, et un chapitre de l’Histoire Populaire du Football de Mickaël Correia lui est aussi consacré.

Le FC United of Manchester et ses propriétaires “accessibles”.

L’Angleterre est alors aux premières loges de la mutation libérale du football avec la création de la Premier League en 92/93 et le début de la main-mise des diffuseurs avec la chaîne Sky. Le football va s’en trouver profondément transformé et les principales victimes vont être les supporters. Le lien séculaire qui les unit et les identifie à leur club, tout comme la sociabilité ouvrière des tribunes, vont être mis à mal par la conjugaison de la rénovation sécuritaire des stades et la hausse faramineuse du prix des places. Résultat d’une volonté de transformer le public des stades en vulgaire clientèle. Tout ça aboutira au cours des années 2000 à l’expulsion des stades anglais de milliers de supporters parmi les plus pauvres.

Par ailleurs, de nombreux clubs anglais sont endettés, et les cas de gestion frauduleuse ne sont pas rares. Exeter, alors en 5e division, est le premier exemple entièrement repris par un trust de supporters fin 2003. Parfois, les supporters ne peuvent reprendre par la voie de l’actionnariat leur club de cœur qu’ils estiment s’être faits voler. Alors ils choisissent un autre chemin, peut-être plus long et plus aventureux, en créant un nouveau club garant des valeurs et de la tradition du club historique. Les plus connus de ces « protest clubs », gérés démocratiquement par leurs adhérents, sont l’AFC Wimbledon, fondé en 2002 suite au déplacement de leur club à 90km de ses terres, et l’incontournable FC United of Manchester, né en 2005 après le rachat à crédit de Manchester United par le milliardaire américain Malcolm Glazer. Plus proche, le Clapton Community FC créé par des supporters mécontents de la gestion verrouillée du Clapton FC, est un exemple assez inédit de club oppositionnel interne au monde amateur.

Le football populaire gagne le reste de l’Europe

Ce modèle du « protest club » va faire quelques émules dans le reste de l’Europe. A Chypre, le PAC Omonia 1948, est ainsi fondé en 2016 par les ultras de la Gate 9 suite au rachat de leur club par un homme d’affaire. Plusieurs milliers de supporters se joignent au projet et constituent une puissant soutien lors des matchs de l’équipe. Le nouveau club qui revendique l’héritage de l’AC Omonia, bafoué par la nouvelle direction, en a conservé les couleurs, les valeurs et la ferveur. Il continue de se développer et n’est plus aujourd’hui qu’à deux paliers de l’élite.

Dans une moindre mesure, cette volonté de retour aux sources a aussi motivé la création de l’Atlético Club de Socios en 2007, par quelques dizaines de socios du grand Atlético de Madrid. Il est surtout connu pour être le premier club de football populaire à voir le jour en Espagne. Dans le contexte de la crise économique de 2008, plusieurs clubs espagnols vont faire faillite. Pour occuper le vide laissé par ces clubs disparus, des projets d’actionnariat populaire vont être mis sur pied, s’appuyant sur les collectifs déjà existants. C’est le cas d’une quinzaine de clubs espagnols dont la SD Logrones en 2009 et Unionistas de Salamanca en 2013, évoluant aujourd’hui en Segunda B soit la 3e division. Un modèle basé sur le principe « un socio, une voix » inspiré directement du modèle coopérativiste anglais. Certains d’entre eux sont membres de la FASFE, fédérations regroupant des clubs d’actionnariat populaire et des collectifs de socios et de petits actionnaires, qui co-organise en Espagne les rencontres annuelles du fútbol popular.

Le calcio popolare entre sécession et « propagande par le foot »

En Italie, le développement du calcio popolare suit sa propre trajectoire et incarne l’autre modèle de football populaire en Europe. Il a plusieurs origines. Mais les premiers clubs sont apparus dans les années 2000, nés du dégoût provoqué par le football moderne, ses scandales répétés et sa répression, découlant de son modèle capitaliste. Le calcio popolare prend vraiment son essor à partir de 2010. Des clubs phare comme le CS Lebowski, le Brutium Cosenza ou l’Ideale Bari vont voir le jour. Le football italien est alors marqué par une énième affaire de matchs truqués, et la répression des ultras passe un nouveau cap avec l’instauration de la tessera del tifoso (la « carte du supporter »). Pour beaucoup c’est la goutte d’eau. Créer leur propre club devient l’occasion de revenir à l’essentiel, et de mettre en pratique cet autre football, débarrassé des tares du football moderne.

Les clubs de calcio popolare font partie des rares clubs des championnats amateurs à pouvoir compter sur des tifoserie et groupes ultras conséquents, comme les Ultimi Rimasti (CS Lebowski) ou le Gruppo Anti Pelé (Lokomotiv Flegrea). Un certain esprit Do It Yourself règne dans la création de ces clubs auto-organisés, auto-financés qui fleurissent sur l’ensemble de la péninsule. Piliers de la vie associative locale, beaucoup mettent en avant leur rôle social et d’éducation populaire à l’échelle de leur quartier ou de leur ville. Ça s’est encore vérifié avec leur implication dans l’auto-organisation de la solidarité lors du pic de la crise sanitaire.

Le fameux maillot “away” du Clapton CFC, édité par l’équipementier antifasciste Rage Sport. A sa sortie, le maillot avait créé le buzz et le club avait croulé sous les commandes.

Si tous ne se disent pas politisés, beaucoup de clubs de calcio popolare affichent une identité antifasciste et communiste. Ce qui se voit dans le choix des noms : Stella Rossa, Spartak Lecce, Lokomotiv Flegrea etc. Ces clubs se distinguent par leur engagement militant plus marqué l’extrême-gauche. Comme en janvier 2017 où plus de trente clubs se sont joints à la campagne de solidarité « We want to play – Nessuno é illegale per giocare al pallone », pour permettre aux réfugiés de jouer dans les clubs, indépendamment de leur situation administrative. Ce que l’art. 40 du règlement de la FIGC ne permettait pas. Suite à la mobilisation du mouvement du calcio popolare, cet article a été révisé permettant aux migrants de toute provenance de jouer, notamment au sein des équipes bâties autour de l’accueil des réfugiés comme le Liberi Nantes à Rome ou plus récemment St. Ambroeus à Milan.

Ce modèle italien dans sa version militante a aussi tendance à s’exporter. Le FC Tarraco en Catalogne, l’Independiente de Vallecas à Madrid ou encore le MFC 1871 à Paris, en reprennent en partie la forme militante. L’engagement politique s’exprime aussi par le choix des maillots. De l’esthétique pro-palestinienne de celui du MFC 1871, à celui rendant hommage aux antifascistes de la Nueve sur le maillot d’Orihuela, tout comme celui du Clapton CFC aux couleurs des Républicains espagnols, qui avait provoqué un buzz au moment de sa sortie. Une sorte de « propagande par le foot » et une appartenance assumée à la grande Histoire de l’antifascisme.

La vérité du terrain

Même si certains de ces clubs font du challenge sportif une donnée secondaire par rapport à leur implication sociale, la réussite du modèle du football populaire se mesure aussi à ses prestations en compétition face aux équipes traditionnelles. Cantonnés pour la plupart aux divisions amateurs, ils n’en sont pas moins confrontés aux obstacles inhérents à ce niveau, notamment concernant les infrastructures. Certains font de leur pérennisation leur objectif prioritaire à court terme. D’autant que l’impact de la crise actuelle sur les sructures amateurs (plusieurs milliers d’euros sont nécessaires au bouclage d’une saison) est réel.

Pour d’autres clubs mieux armés, comme le PAC Omonia 1948 qui a atteint la 3e division, l’enjeu des prochaines saisons sera de continuer à se développer en conjuguant l’exigence économique du haut niveau et la conservation de ses valeurs populaires. L’AFC Wimbledon a par exemple été contraint d’ouvrir les portes à des investisseurs privés minoritaires pour acquérir son futur stade. Les principes politiques de ces clubs se heurtent aux normes du football moderne, toujours plus fortes, à mesure qu’ils grimpent les divisions.

Sans transformation sociale majeure, battre le football moderne sur son terrain est un pari un peu fou. Les saisons à venir seront, à coup sûr, riches en enseignement.

Le Palermo Calcio Popolare. “Notre passion n’a pas de prix. Ces couleurs sont contre le football moderne”

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