15 avril 1989: La police responsable de la tragédie d’Hillsborough

Quatre ans après le drame du Heysel, où les hooligans des Reds avaient été pointés du doigt, le gouvernement Thatcher va se servir de ce drame pour porter un sérieux coup répressif aux supporters les plus radicaux. L’instrumentalisation de cette tragédie est aussi considérée pour beaucoup comme un point de bascule dans l’ère du football moderne.

Il aura fallu attendre le 26 avril 2016, soit 27 longues années pour l’ensemble de la communauté des fans de Liverpool, pour voir la Justice anglaise rendre son verdict concernant la catastrophe d’Hillsborough, survenue le le 15 avril 1989. Ce jour-là, on ramassera les corps de 95 supporters des Reds, la majorité morts écrasés, et 766 blessés. Après quatre ans de coma, un 96e supporter décèdera. Cette tragédie a eu des répercussions majeures et son instrumentalisation politique a clairement œuvré à déclencher la restructuration libérale du football anglais.

Hillsborough, Sheffield, 15h. Le coup d’envoi de la demi-finale de la Cup opposant Liverpool à Nottingham Forest vient d’être donné et de nombreux supporters des Reds, en retard à cause des embouteillages, sont entassés aux abords de la trop petite tribune Leppings Lane End, située côté ouest du stade Hillsborough. La police du comté décide alors d’ouvrir une autre entrée pour fluidifier l’accès aux tribunes, mais l’accès en question mène aux parcages des gradins inférieurs (blocs 3 et 4) qui sont déjà surpeuplés, alors qu’il reste de la place à d’autres endroits. La pression exercée depuis les tunnels par plusieurs centaines de supporters compriment ceux déjà installés contre les grilles. Ce même type de grilles installées quatre ans auparavant dans les stades britanniques. Il s’agissait alors d’une réponse sécuritaire au drame du Heysel, pensée pour empêcher les envahissements de terrain et les déplacements entre les tribunes. Des grilles qui mettent littéralement les supporters en cage.

Alors que le match est commencé depuis 6 minutes à peine, derrière les buts de Bruce Grobbelaar, de nombreux appels au secours se font entendre depuis la tribune. Le gardien des Reds exhorte alors les policiers à ouvrir les grilles. Des dizaines de supporters escaladent pour éviter d’être écrasés, mais beaucoup ne peuvent plus bouger. Dans la tribune c’est l’asphyxie. On comprend vite qu’il y a des morts. Les flics tardent à ouvrir les grilles pour libérer les supporters de ce cercueil géant. Les journalistes continuent de prendre des photos dont certaines, terrifiantes, montrent des fans suffoquant, écrasés contre les grilles. De nombreux supporters sur le bord de la pelouse prodiguent les premiers soins aux victimes. Face à l’ampleur du désastre en train de se dessiner, l’arbitre stoppe rapidement la rencontre.

©This is Anfield

30 years later. Sans surprise, la police, responsable de l’orientation de la foule vers une tribune déjà surchargée, a cherché à se défausser, en pointant du doigt l’indiscipline des supporters. Quatre jours plus tard, The S*n, tabloïd dégueulasse, écrit que des supporters de Liverpool ont profité de la tragédie pour faire les poches aux victimes. Cette insulte publique n’a toujours pas été digérée et ne le sera jamais. Le journal est boycotté à Liverpool depuis. Même si cette manipulation des faits n’a jamais vraiment convaincu, il aura fallu attendre 2009 pour que soit mise en place une commission d’enquête indépendante, chargée d’étudier minutieusement le déroulement du drame. Le rapport de 450 000 pages est rendu public en septembre 2012. Il est accablant pour les autorités policières de l’époque. Une nouvelle enquête est ouverte, elle conclut en 2016 à la responsabilité de la police, coupable « de graves négligences », et disculpe les supporters. C’est un soulagement pour les proches des victimes et la communauté du Liverpool FC, plus de 27 ans après le drame.

Ces résultats, ainsi que ceux de l’opération “Resolve” chargée de déterminer s’il y a des responsabilités individuelles, ouvrent la voie à un procès pour homicide involontaire. Il s’ouvre le 14 janvier 2019 au tribunal de Preston. Le principal accusé est David Duckenfield, responsable des forces de police ce 15 avril 1989 à Hillsborough. Un premier verdict rendu en avril 2019 acquitte l’ex-policier. Drôle de cadeau d’anniversaire pour les 30 ans du drame. Quelques mois plus tard, cette décision est confirmée en appel, traduisant le refus farouche, mais pas surprenant, de la justice anglaise de faire payer les responsables policiers.

Rapport Taylor. Un premier rapport censé établir les causes du drame d’Hillsborough avait été commandé par Thatcher au “Lord of Justice”, Peter Taylor. La version définitive est publiée en janvier 1990. Depuis les années 20, c’est le neuvième rapport portant sur la sécurité des stades et leurs abords. Taylor ne s’en doute peut-être pas mais certaines  préconisations de son rapport vont jouer un rôle central dans l’avènement du football moderne. Après le Heysel, l’UEFA avait déjà annoncé sa volonté de supprimer les kops, ces tribunes populaires où on assiste au match debout, plus bruyantes, plus festives et moins faciles à encadrer. Le Rapport Taylor recommande alors un vaste plan de rénovation des stades, afin de les équiper intégralement de places assises pour la saison 94/95. Ce point n’est qu’une recommandation parmi les 76 contenues dans le rapport pour « sécuriser » les stades et porter un coup fatal au hooliganisme à l’intérieur. Même si pour Taylor le prix des billets doit rester abordable, ce plan de rénovation coûteux – plus d’un milliard de livres – va être le prétexte à une gentrification express et à l’exclusion des supporters les plus pauvres. Il faut ajouter à ce contexte le durcissement répressif, avec le “Public Order Act” de 1986 et le “Football Spectators Act” de 1989. Les mesures d’interdictions de stade sont prononcées à la pelle.

Aujourd’hui encore, seuls les mémoriaux d’Anfield Road et d’Hillsborough, ainsi que les hommages annuels rendus par les supporters de Liverpool, rappellent à tous la tragédie et honorent le souvenir des victimes. Liverpool n’a plus jamais joué un 15 avril. Les familles des supporters morts à Hillsborough ont donc attendu 27 ans, pour simplement obtenir que les responsabilités soient établies. Leur demande de justice ne sera jamais satisfaite au sens espéré. Mais le peuple de Liverpool a toujours su dans cette histoire qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Durant plus de vingt-cinq ans, la communauté des Reds dut faire face aux soupçons et aux accusations sordides. Les conclusions des enquêtes ont au moins rétabli cette évidence: les fans des Reds, les hooligans comme les simples supporters, ne sont en rien responsables. Mais il reste une cicatrice qui ne se refermera jamais.

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